Depuis les rencontres cinématographiques de Dijon, lors d’un débat portant sur la régulation face à la dépréciation du cinéma et de la culture, Rodolphe Belmer, numéro un du groupe Canal+, a insisté pour que la répression contre le piratage soit accentuée. De son côté, Fleur Pellerin s’atèle à la mise en œuvre du rapport de Mireille Imbert-Quaretta contre la contrefaçon commerciale.
« Le piratage est désormais massif ! » Sur la scène des neuvièmes rencontres cinématographiques de Dijon, Rodolphe Belmer a ressorti des cartons un épouvantail qui avait déjà été exploité lors des débats Hadopi en 2009 ou plus près de nous. L'enjeu ? Sensibiliser les pouvoirs publics sur un nouveau train de mesures musclées à prendre au plus vite. L'empressement est tel qu'il a conduit le directeur général de Canal+ à un dérapage, expliquant ce mouvement par la « suppression de la Hadopi ». Quoi qu’assoiffée d’argent public, la Haute autorité est pourtant bien vivante, en témoigne la présence de plusieurs de ses membres dans la salle.
Message de Canal+ aux internautes frustrés par l’offre légale
Ceux qui associent piratage et offre légale insuffisante agacent en tout cas Belmer. Au « pauvre citoyen tellement frustré », il oppose en effet une sèche fin de non-recevoir. Il évoque des tests effectués par Canal+ sur la série 24H Chrono diffusée en même temps en France qu’aux États-Unis, ou Mafiosa, disponible d’un seul jet dans son intégralité. Or ces contenus auraient été « massivement » piratés sur les réseaux, sans que la chaîne ne constate d’accroissement de ses abonnements. Conclusion : « l’argument de l’absence d’œuvre, leur diffusion à un rythme qui ne convient pas, c’est faux ! C’est de la démagogie. Il faut arriver à sanctionner le piratage qui est du vol ! (…) On n’arrivera pas à vendre des séries si on ne le combat pas. »
Vite, un système d’amendes automatiques !
Que faire alors contre ce « fléau » ? Simple. Belmer rêve d’un « système d’amende graduée », et d'une Hadopi qui gonfle le torse, jouant enfin son rôle de gendarme-qui-fait-peur. « Depuis qu’il y a des radars automatiques sur les routes, il y a moins de morts. Mettons de tels radars sur les réseaux de Maxime ! » (Lombardini, assis à ses côtés).
Le bémol du consentement à payer
Nicolas Colin, coauteur du rapport sur la fiscalité du numérique, rétrogradera cette analyse qui vise à opposer gratuité des contenus en ligne versus contenus payants. Dans ce débat, selon lui, les points cruciaux restent l’amélioration du consentement à payer qui implique une meilleure expérience utilisateur, une proximité du diffuseur avec ses clients et une bonne fluidité des contenus. Surtout, les acteurs ne doivent pas attendre que la poussière recouvre leurs offres. Ils doivent au contraire se remettre sans cesse en question, aucun modèle n’étant stable : « il faut une grande agilité de la régulation de la filière elle-même et des entreprises » exhorte-t-il.
« Dire au consommateur qu’il faut attendre, c’est difficile ! » acidulera un peu plus tard Maxime Lombardini, sur le balcon de la chronologie des médias. « Je ne dis pas qu’ils ont une légitimité à pirater, mais un petit peu quand même ! » lâchera le directeur général de Free. Tressaillement dans la salle des Rencontres, remplie de professionnels du cinéma.

Belmer trouvera heureusement un meilleur appui par la voix de Frédéric Goldsmith. Le délégué général de l’APC, association des producteurs de cinéma, invite en effet le gouvernement à mettre en œuvre l’ensemble des outils disponibles pour bouter le piratage hors des écrans. « On n’a pas besoin d’une grande réforme législative ! » Dans le même sens, il milite pour que la Hadopi accentue ses transmissions aux parquets, lesquels doivent s’y concentrer dans la mesure du possible. « Le piratage est destructeur d’emploi, il faut se battre ! »
Fleur Pellerin s’attèle à la mise en œuvre du rapport Imbert-Quaretta
Devant les professionnels de l’audiovisuel, Fleur Pellerin garantira pour sa part « l’attachement du gouvernement à la riposte graduée ». Oubliée donc, une fois de plus, l’opposition du PS à ce mécanisme en 2009. Il y a mieux : la ministre de la Culture a confirmé la mise en œuvre des préconisations du rapport de Mireille Imbert-Quaretta sur la contrefaçon commerciale (voir l'interview de l'auteure de ce rapport).
Cette mise en pratique passera d’abord par la signature de chartes avec les acteurs de la publicité en ligne et ceux des moyens de paiement. Autre piste, l’édition d’une liste noire des sites massivement contrefaisants, « qui sera actualisée et permettra aux annonceurs ou aux prestataires de paiement » d’être informés des liens tissés avec les sites contrefacteurs. Dans une récente réponse parlementaire, elle considère que cette alerte permettra à ces intermédiaires d’être couverts contractuellement en cas de litige avec le site en cause.

Ce n’est pas tout. Si elle concède que « l'offre légale est parfois un cauchemar », la locataire de Rue de Valois œuvre également pour la mise en place de l’injonction de retrait prolongé, autre préconisation du rapport de Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission de protection des droits de la Hadopi. Par ce biais, les hébergeurs notifiés auraient l’obligation d’empêcher la réapparition d’un contenu dénoncé par les ayants droit, le tout sur une période plus ou moins longue (MIQ propose six mois maximum). Aucun agenda n’a été esquissé, mais le sujet fera bien l’objet d’une instruction avec les ministères de la Justice et de l’Intérieur, voire plus tard, un plan interministériel pour renforcer la coopération des services.
Frédérique Bredin révèlera enfin qu’à la demande de Fleur Pellerin (en fait Aurélie FIlippetti), le Centre national du cinéma, dont elle assure la présidence, réfléchit à la manière de promouvoir l’offre légale dans Google et les autres moteurs. La Hadopi a déjà monté un site dédié à l’offre légale labellisée où le sujet est également sur la planche, mais aucun des grands professionnels de l’audiovisuel n’a eu l’air d’y prêter attention.