Comme une lettre à la poste ! Les sénateurs ont adopté le projet de loi sur le terrorisme et spécialement l’article 9, celui qui instaure le blocage administratif des sites. Comme annoncé ce matin dans nos colonnes, le gouvernement a fait adopter en séance un sous-amendement visant à étendre cette mesure administrative au déréférencement des sites.
Les sénateurs ont adopté aujourd’hui l’ensemble des articles du projet de loi sur le terrorisme, dont le 9, celui prévoyant désormais trois mesures : une accentuation de la responsabilité des intermédiaires, le blocage administratif des sites Internet « terroristes » et le déréférencement administratifs dans les moteurs et les annuaires.
Responsabilité accentuée pour les intermédiaires techniques
L’article 9 adopté accentue d’abord la responsabilité des intermédiaires techniques qui devront dorénavant mettre en place un dispositif d’alerte à la disposition des internautes. Il leur permettra de dénoncer les sites faisant l’apologie du terrorisme ou provocants ces actes.
Par ce biais, la mesure devrait aussi inciter aux réflexes d’ « autocensure » puisqu’après cette dénonciation, les hébergeurs seront en situation de « connaissance » sur des faits potentiellement illicites. S’ils ne font rien alors qu’ils « savaient », ils pourront en effet voir leur responsabilité engagée. De plus, ils devront signaler les dénonciations réputées justifiées à l’OCLCTIC, via la plateforme Pharos.
Blocage des sites internet
Ces signalements, outre les éléments glanés par l’Intérieur, vont permettre aux autorités d’enclencher une deuxième lame pour couper l’accès aux sites en cause. C’est en effet au deuxième alinéa qu’intervient le blocage, avec une économie simple : l’Office central de la lutte contre la criminalité informatique pourra notifier aux éditeurs ou aux hébergeurs les contenus pédopornographiques ou faisant l’apologie du terrorisme. Dans le même temps, l’autorité administrative en informera les fournisseurs d’accès.
Dans le texte gouvernemental, Bernard Cazeneuve souhaitait une réaction de ces acteurs dans les 24 h. Au Sénat, ce délai a été étendu à 48 h, sous les protestations de Bernard Cazeneuve qui aurait préféré l’expéditif, au prétexte que ces deux jours laisseront trop de temps à la propagation de sites miroirs.
En tout cas, en l’absence de retrait, ou si l’hébergeur et l’éditeur ne sont pas connus, l’autorité administrative pourra notifier les FAI une liste d’adresses à bloquer. Les fournisseurs d’accès devront alors couper l’accès « sans délai » et donc immédiatement.
Différents amendements ont été proposés sur cet article. Les sénatrices Nathalie Goulet et Eliane Assassi ont ainsi souhaité que cette disposition soit purement et simplement supprimée en raison de ses risques (surblocage) et de son inefficacité (sous blocage). Tous seront rejetés avec l’appui musclé de Bernard Cazeneuve.
Le gouvernement justifie son revirement sur le blocage administratif
Nombreuses aussi ont été les voix pour dénoncer le revirement du PS sur la question du blocage administratif. À situation différente, réaction donc différente énoncera Cazeneuve : « nous sommes fasse une réalité très différente de celles que nous avions eue à connaître dans le passé ». Autre argument : les intermédiaires procèdent déjà d’eux-mêmes au retrait des contenus. « Cet article propose d’accompagner [ces acteurs] dans ce qu’ils commencent à faire eux-mêmes ». Bernard Cazeneuve voit donc là une main tendue, quand d’autres dénoncent une gifle assénée aux droits fondamentaux. Et pour cause : il n’est pas toujours simple de distinguer l’apologie du terrorisme au droit à la contestation sociale, socle de la liberté d’expression.
Le déréférencement administratif imposé aux annuaires et aux moteurs
Mais peu importe. Le gouvernement a choisi d’exploiter la brèche jusqu’à la corde. Un sous-amendement gouvernemental a été déposé à la dernière minute, une stratégie toujours idéale pour éviter le bruit autour d’un texte contesté. Avec lui, l’autorité administrative pourra notifier directement les moteurs et les annuaires de liens diffusant des contenus pédopornographiques, provocants au terrorisme ou faisant son apologie.
C’est une mesure inédite qui est portée là par le PS puisque jamais il n’avait été envisagé d’instaurer un déréférencement administratif. Autre nouveauté, c’est à notre connaissance la première fois que la notion « d’annuaire » entre dans notre droit. Le terme est certes un tantinet poussiéreux, fleurant bon cette époque où on parlait « des autoroutes de l’information » ou de « la toile », mais une fois le décret d’application publié, cette résurgence permettra d’en jauger les contours.
Ces différentes étapes seront en tout cas observées par une personnalité désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), seul œil extérieur au travers des murs de cette police administrative. Elle s’assurera de la régularité des demandes de retrait et de leurs conditions d'établissement, de mise à jour, de communication et d'utilisation. « Si elle constate une irrégularité, prévient le texte, elle peut à tout moment recommander à l'autorité administrative d'y mettre fin ». Et si cette autorité ne suit pas cette recommandation, « la personnalité qualifiée peut saisir la juridiction administrative compétente, en référé ou sur requête ».
Les arguments du gouvernement pour justifier l’éviction du juge judiciaire
Pour justifier l’éviction du juge judiciaire, Bernard Cazeneuve invoquera l’absence de choix puisqu'il serait surchargé de travail. De plus, « il n’a pas connaissance de ce qui est diffusé. Et nous ne pouvons pas le saisir autrement que dans des conditions très précises ». En toute évidence, commentera-t-il encore, si le juge judiciaire veut intervenir, il le pourra, d’ailleurs, « ce que fera le juge administratif sera un facteur de déclenchement de la procédure judiciaire ». En attendant, le ministre de l’Intérieur a pris l’engagement d’opter pour le blocage par DNS dans l’application de ce dispositif.
L’examen du projet de loi n’est pas encore achevé puisqu'une commission (dite mixte paritaire, composée d’autant de sénateurs que de députés) se réunira sous peu pour gommer les différences entre le texte voté au Sénat et celui de l’Assemblée nationale. Nous reviendrons plus en profondeur sur la version qui sortira de ces arbitrages.