Coup de froid pour les géants du Net installés chaudement en Irlande ? Dublin a annoncé dans son projet de loi de finances la fin prochaine du « double irlandais ». Seulement, les entreprises déjà en place ont jusqu’à 2020 pour s’adapter.
«J'abolis la possibilité pour les entreprises d'utiliser le ‘double irlandais’ (…) en exigeant que les entreprises enregistrées en Irlande soient également des résidents fiscaux ». Les propos sont signés de Michael Noonan, le ministre des Finances qui présentait là son budget pour 2015. La mesure a pu surprendre puisque le double irish est un mécanisme d’optimisation fiscale qui a charmé de nombreux géants du Net puisqu'il permet de dégonfler le paiement de l’impôt de manière pour le moins astucieuse.
Double Irish + sandwich néerlandais
Son principe ? Une entreprise, disons Google, créée en Irlande une holding. Sa vocation est de gérer un portefeuille de brevets dont les droits lui ont été concédés par Google US en échange d’une redevance limitée. Google Ireland Holding est en relation avec une autre antenne basée au Bermudes dont la mission est d’être son centre de management effectif. De ce fait, elle est exemptée d’impôt sur les bénéfices en Irlande, lequel est déjà faible (12,5 %). Google Ireland Holding est aussi la maison mère de Google Ireland Limited qui va localiser dans ses coffres forts l’ensemble du chiffre d’affaires de Google hors États-Unis, mais également gérer les brevets. En contrepartie, celle-ci reverse cette fois une lourde redevance à la holding (5,4 milliards de dollars). Belle affaire : la holding est en principe exempte d’impôt en Irlande et le paiement de cette redevance est une charge pour Google Ltd.
Mais il y a mieux : « selon le droit irlandais, précisait un rapport sénatorial sur la fiscalité du numérique signé Philippe Marini, les redevances liées à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle ne font l’objet que d’une taxation minime si elles sont transférées à l’extérieur du pays. Plus encore, elles sont totalement exemptées d’imposition si elles sont transférées à l’intérieur de l’Union européenne ». Pour mener à bien cette stratégie arrive le sandwich néerlandais, une autre technique d’optimisation fiscale. C’est la mission de Google Netherlands Holdings BV qui s’intercale entre la holding et Google LTD, une « simple coquille juridique, par laquelle transite le paiement des redevances » dénonce Marini. Par ce montage, en effet tout remonte au Bermudes où l’impôt sur les bénéfices n’existe pas.
Une réforme programmée pour 2020 pour les acteurs en place
Si l’Irlande veut mettre un coup de balai fiscal sur ces montages, dont il faudra attendre par prudence les détails, ses effets ne seront pas immédiats. La réforme est certes programmée au 1er janvier 2015 mais pour les seules nouvelles entreprises. Celles existantes ont jusqu’à 2020 pour se mettre à jour. « Ces mesures amélioreront le régime d'imposition des sociétés irlandaises et permettront de s’aligner sur les meilleures pratiques à l'échelle internationale. Nous veillerons à ce que l’Irlande continue d'être le socle des meilleures et plus prospères entreprises dans le monde. Ce régime attirera et maintiendra sur place celles ayant une réelle substance et offrant de vrais emplois ».
Pour Bruxelles, la décision sera évidemment bienvenue alors qu’elle a déjà l’Irlande et Apple dans le collimateur, soupçonnant des aides fiscales illicites. De même, Paris ne peut qu’applaudir, elle qui tente par tous les moyens de relocaliser en France les revenus glanés par les géants du Net en imaginant des solutions parfois exotiques. Il faudra cependant attendre une mise à jour de l’ensemble des législations, notamment européennes, pour mesurer l’effet de cette réforme, puisque chaque législation avantageuse sera dans tous les cas exploitée jusqu’à la corde par ces superstructures.