Le projet de loi sur le terrorisme passé au crible de la Commission numérique

Une dizaine de jours après son adoption par l'Assemblée...
Droit 7 min
Le projet de loi sur le terrorisme passé au crible de la Commission numérique

Alors que son précédent avis sur le blocage administratif des sites terroristes n’a pas été suivi par les députés, la « commission numérique » de l’Assemblée nationale vient d’adresser de nouvelles critiques à l’égard du projet de loi sur le terrorisme de Bernard Cazeneuve (voir le texte tel que voté le 18 septembrenotre analyse).

Après s’être penchée en urgence, en plein mois de juillet, sur l’une des dispositions phares du projet de loi sur le terrorisme projet de loi sur le terrorisme (le blocage administratif des sites faisant l'apologie du terrorisme), la commission parlementaire sur « les droits et libertés à l’âge du numérique » a publié hier la suite de ses réflexions. Si les mots restent policés, ce nouvel avis transpire une fois de plus l’appel à la prudence et à la mise en place de garde-fous – à défaut d’arriver à s’opposer à la volonté du gouvernement.  

La Commission regrette qu'Internet soit vu comme une circonstance aggravante 

Cette instance composée à parité de députés et de personnalités extérieures (Edwy Plenel, Philippe Aigrain, Henri Verdier...) a tout d’abord examiné l’article 4 du projet de loi de Bernard Cazeneuve. Celui-ci fait basculer plusieurs délits relatifs à la provocation ou à la glorification des actes de terrorisme dans le Code pénal. L’avantage ? Il deviendrait possible de leur appliquer des règles de procédure plus musclées - notamment s’agissant des saisies, de la procédure dite de comparution immédiate, ainsi que des délais de prescription.

 

Tout en reconnaissant qu’il y a eu des divergences entre ses membres, la commission affirme qu’un « point de vue majoritaire s’est dégagé s’opposant au transfert de ces infractions vers le Code pénal en y voyant une illustration de la remise en cause des libertés publiques à l’ère numérique ». En clair, ils sont contre. Ces membres « estiment que la dissidence et l’appel à un renversement de l’ordre établi peuvent relever dans certains cas de l’opinion, et doivent donc être appréhendés dans le cadre d’une loi et de procédures spécifiques. Ils récusent le lien direct établi entre l’expression d’une opinion, fût-elle délictueuse, et la commission d’un acte terroriste ».

 

Cet article 4 prévoit également que le fait de provoquer à la commission d’actes de terrorisme devienne passible d’une peine maximale de 7 ans de prison et de 100 000 euros d’amende, et ce à partir du moment où cette infraction se déroule sur Internet. Le réseau deviendrait donc une circonstance aggravante. Encore une fois, la commission adresse un carton rouge au texte du gouvernement : « Une position largement majoritaire s’est exprimée contre cette disposition qui traduit une défiance de principe à l’égard d’Internet. Pour la commission, rien ne justifie de sanctionner différemment des propos de même nature en fonction du support qui les véhicule. » Selon l’institution, un tel dispositif pourrait de surcroît se heurter au principe de l'égalité devant la loi pénale.

Le durcissement des sanctions pour piratage implicitement avalisé

L’autre remontrance de la commission numérique concerne le durcissement des sanctions encourues en cas de piratage informatique. Le projet de loi sur le terrorisme prévoit par exemple que « le fait d'introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé », ou « d'extraire, de détenir, de reproduire, de transmettre, de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu'il contient » devienne passible de 500 000 euros d’amende (outre 5 ans de prison), contre 75 000 euros aujourd’hui.

 

Mais le seul tour de vis ayant fait tiquer l’institution concerne en fait la commission en bande organisée de ces infractions dites d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD), qui deviendrait une circonstance aggravante passible de dix ans de prison et d’une amende d’un million d’euros. En l’état, il est prévu que ces dispositions ne s’appliquent qu’aux cas de piratage visant des traitements automatisés de données à caractère personnel mis en oeuvre par l'État.

 

« La Commission considère que cette disposition risque de sanctionner de manière disproportionnée certaines nouvelles formes d’expression citoyenne propres au numérique, affirme-t-elle dans son avis. Sans remettre en cause leur caractère éventuellement délictueux, elle s’interroge sur l’opportunité de sanctionner aussi lourdement certaines actions de sit-in informatique de militants souhaitant bloquer temporairement l’accès à un site sans destruction ou extraction de données ou des intrusions dans des sites résultant de failles évidentes de sécurité. En conséquence, elle appelle de ses vœux une limitation du champ d’application de la circonstance aggravante. »

commission numérique paul
Crédits : Assemblée nationale

Surveillance et renseignement : la commission veut une réflexion d'ensemble

La commission s’est ensuite penchée sur l’article 15 du projet de loi de Bernard Cazeneuve, lequel étend le délai d'effacement des données glanées lors d’une interception de sécurité. Normalement, ces enregistrements doivent être détruits dans les 10 jours. Le texte porte ce délai maximal à 30 jours.

 

Soulignant que la loi de programmation militaire « a déjà significativement accru les pouvoirs des services d’enquête en matière d’accès aux données techniques de connexion et de géolocalisation », la commission en appelle « à une réflexion d’ensemble sur les conditions d’exercice des activités de renseignement à l’ère numérique, qu’il s’agisse de l’accès aux données techniques de connexion et de géolocalisation ou de l’interception des communications ». Sans prendre de position claire sur le sujet, l’institution laisse ici transparaître sa vive préoccupation face à cette « nouvelle modification de l’équilibre entre le renforcement des moyens d’investigation des services de renseignement et la protection de la vie privée ».

Perquisitions dans le cloud, enquêtes sous pseudo... Un appel à la vigilance

Enfin, la commission plaide pour une grande vigilance dans la mise en œuvre de différentes dispositions du projet de loi sur le terrorisme. Sur l’élargissement des modalités de perquisition des données dans le cloud, par exemple, elle demande à ce que les garanties procédurales soient pleinement respectées. Elle souhaite en particulier que les enquêteurs ne puissent « ni consulter ni saisir aucune donnée en dehors de la présence de l’intéressé, d’un tiers désigné par lui ou, à défaut, de deux témoins ».

 

S’agissant de la possibilité pour les officiers de police judiciaire de faire directement appel à une personnalité qualifiée pour faciliter la mise au clair d’informations chiffrées (sur autorisation du juge d’instruction ou du procureur), la commission dit s’interroger sur le champ précis de cette autorisation, estimant sans davantage d’explications que celle-ci « mériterait d’être strictement encadrée ».

 

Après avoir étudié l’article 13 du projet de loi, qui généralise les enquêtes sous pseudonyme pour toute une série d’infractions graves, la commission affirme ne pas y être opposée, mais à condition que cette procédure « fasse l’objet d’un contrôle judiciaire ». L’institution propose ainsi que ces enquêtes soient ordonnées, sauf cas d’urgence, par le juge des libertés et de la détention.

Le match est-il d'ores et déjà plié ?

Mais toutes ces préconisations seront-elles d’une grande utilité ? Les cartons rouges adressés au projet de loi sur le terrorisme s’entassent depuis plusieurs mois, sans que le gouvernement ne recule. Pire, le précédent avis de la commission numérique de l’Assemblée nationale n’a manifestement pas convaincu les députés, puisque ceux-ci ont pris un tout autre autre chemin en votant le dispositif de blocage administratif des sites Internet, auquel s’était fermement opposée l’institution en juillet. C’était pourtant l’objectif de cette commission, comme nous l’avait expliqué son co-président, le député PS Christian Paul (voir notre interview).

 

Examiné dans le cadre d’une procédure accélérée, le texte de Bernard Cazeneuve attend désormais que les sénateurs reprennent leurs travaux pour être débattu devant le Palais du Luxembourg, avant une probable commission mixte paritaire. Mais si certains avaient encore quelques espoirs que la Haute assemblée retouche en profondeur le projet de loi sur le terrorisme, la commission numérique ne se fait quant à elle guère d’illusions. Elle demande en effet à ce qu’une « évaluation précise de la loi soit conduite à l’issue de sa première année d’application, afin de déterminer si les moyens proposés pour lutter contre la provocation aux actes de terrorisme et l’apologie du terrorisme (sortie de la loi de 1881, blocage administratif) auront été adaptés aux objectifs poursuivis ». Une façon implicite de dire que le match est d'ores et déjà plié pour l’essentiel des dispositions litigieuses. 

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