Hier, lors de la discussion générale sur le projet de loi un échange a opposé Laure de la Raudière et le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Celui-ci veut imposer un blocage administratif des sites, quand la première juge la mesure inopportune, inefficace et liberticide.
Sans surprise, la députée UMP s’est opposée à ce dispositif en se référant notamment sur l’avis du directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) qui a récemment taclé l’efficacité de ces mesures. « Vous ne trouverez pas un seul expert en cybersécurité pour défendre votre mesure de blocage des sites Internet. Telle est la réalité ! insistera-t-elle, en effet, le diagnostic sur les techniques de blocage et de filtrage fait l’objet d’un consensus : ces techniques sont totalement inefficaces, et vous le savez ».
Plutôt qu’un blocage administratif, la députée milite pour un retrait à la source des contenus illicites, avec un rapprochement des autorités françaises avec le Canada et les États-Unis, où la liberté d’expression est un dogme. « Les dispositions relatives au filtrage administratif du Net, prévues à l’article 9, relèvent au mieux d’une méconnaissance du fonctionnement des réseaux, et donc de l’amateurisme, au pire d’une atteinte volontaire aux libertés individuelles des internautes par l’absence préalable de saisine du juge judiciaire » embraye-t-elle.
Quant au court-circuitage du juge judiciaire, les propos sont du même acabit : « non seulement ce préalable constitue une garantie forte de la liberté d’expression, mais il vise aussi à préserver la liberté de communication et la neutralité des réseaux. Votre choix risque d’entraîner une systématisation du filtrage administratif ; c’est d’ailleurs ce qui avait été initialement proposé, dans une récente proposition de loi déposée par le groupe SRC, pour lutter contre les sites de proxénétisme. »
L'Internet et la rue, même combat
À ces arguments, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeuve fera dans la caricature plutôt que le pointillisme lors de ces premiers échanges (les débats continuent ce soir à 21h30). Il dénoncera ceux qui veulent « considérer qu’internet étant un espace de liberté, la volonté de couper l’accès à certaines vidéos ou à certains éléments de propagande véhiculés par Internet, qui sont de véritables appels à perpétrer des crimes et à s’engager dans des groupes terroristes qui sont très loin de défendre les libertés individuelles et les valeurs des droits de l’homme auxquelles nous tenons, serait une remise en cause des libertés individuelles sur le Net ».
Pour balayer le discours de Laure de la Raudière, le ministre évitera aussi le débat technique. Il prendra l’exemple d’une manifestation dans la rue brandissant des pancartes sur lesquelles figurent les photos « des slogans d’endoctrinement et d’embrigadement abjects que l’on trouve sur internet » et où la réponse publique devrait être immédiate. « Ainsi, dans certains espaces publics, la rue par exemple, il faudrait immédiatement faire cesser ce type de troubles à l’ordre public et, dans d’autres, sacralisés pour des raisons que l’on ignore, il faudrait se dispenser toujours d’intervenir par des pouvoirs de police pour faire cesser le trouble à l’ordre public ! »
Bernard Cazeneuve « ne comprend pas »
Comparaison est-elle raison ? Le fait est que la députée n’a pas dit qu’il fallait éviter d’agir, mais s’abstenir de faire n’importe quoi en évitant la case du juge. Mais le ministre ne veut rien entendre et grossit toujours le trait : « Je ne comprends pas au nom de quoi, sous prétexte qu’il s’agit du numérique, de technologies modernes, il faudrait s’abstenir de faire dans ces espaces publics, qui méritent que la liberté y soit consacrée autant que dans tout autre, ce que l’on s’autoriserait à faire dans d’autres espaces où ces libertés seraient bafouées. Je n’accède pas à ce raisonnement ! » Raisonnement que n’a pas tenu la députée.
Pour contrefaire davantage encore les positions de la parlementaire, il ajoutera toujours sur le thème de l’incompréhension : « je ne comprends donc pas d’où vient le raisonnement qui consiste à dire que ce que nous nous proposons de faire sur internet est hautement attentatoire aux libertés publiques, comme s’il y avait une liberté d’appeler au djihad et au crime sur internet sans préjudice aucun pour les hébergeurs et les opérateurs qui procèdent à cela ». Comme si la rue pouvait s’assimiler à Internet.
Si Cazeneuve « ne comprend pas d’où vient le raisonnement » de la députée, la réponse est toute simple : il suffit de se replonger dans les débats sur la LOPPSI 2 qui proposait déjà un blocage administratif. À l’époque les parlementaires socialistes avaient voté contre ce texte après des heures de débat à l’Assemblée nationale, dénonçant un texte liberticide et inefficace. Et parmi les députés ayant voté contre, un certain Bernard Cazeneuve.