Alors que l’Assemblée débat du projet de loi sur le terrorisme, une affaire témoigne que la suppression d’un contenu chez un hébergeur, ça marche même sans blocage administratif ! En témoigne cette affaire qui a éclaté en juin dernier, conduisant à une ordonnance de retrait d’une vidéo sur YouTube.
L’affaire est née suite à un incident diplomatique entre la France et le Maroc, que résume RFI. Un ancien capitaine de l’armée marocaine, déchu et opposant de Mohamed VI, en exil en France; s’était présenté à l’hôpital du Val-de-Grâce où était hospitalisé le général Adbelaziz Bennami, 78 ans. « Son objectif était de lui remettre une violente lettre, l'accusant notamment d'avoir du sang sur les mains » résument nos confrères. À cette occasion, il avait filmé en douce son intervention dans les couloirs de l’hôpital, avant d'être « refoulé in extremis par une nièce et un médecin marocain du malade, qui l'avaient reconnu » ajoute le site JeuneAfrique.com.
Cependant, le 22 juin, il a diffusé sa vidéo sur YouTube. Les proches du général ont alors réclamé de Google la suppression du lien en question, mais la firme s’y est refusée visiblement faute de contenu manifestement illicite et surtout de décision de justice.
Les demandeurs ont alors assigné la plateforme et fin juillet, les principaux FAI, dans une procédure de référé d’heure à heure assortie d'une astreinte de 20 000 euros par jour. Mais entre temps, ces mêmes demandeurs ont eu gain de cause en justice contre Google qui indique désormais sur cette vidéo que « ce contenu n'est pas disponible dans le domaine de ce pays en raison d'une ordonnance du tribunal ». Mécaniquement, l’affaire intentée contre les FAI a fait naturellement pshittt. Conclusion : la vidéo que voulait voir supprimer le Maroc a été bloquée par Google, à la demande de la justice, et les FAI n’ont pas eu à procéder au blocage de l'adresse, comme le réclamaient les demandeurs, alors que cette mesure pouvait théoriquement impacter tout YouTube.
L’exposé montre une nouvelle fois que les demandes de retrait exercées en justice à l’encontre des intermédiaires techniques fonctionnent, même si on respecte le principe de subsidiarité (on s’adresse d’abord à l’éditeur, puis à l’hébergeur, puis aux FAi). Certes, les procédures sont plus longues, mais le juge judiciaire est là pour équilibrer la liberté d’expression avec les atteintes à la vie privée. Et lorsqu'il intervient dans le cadre d'une procédure d'urgence comme ici, il sait ausculter l'évidence.
Du blocage judiciaire au blocage administratif sans subsidiarité
Dans le cadre du projet de loi contre le terrorisme, le ministre Bernard Cazeneuve veut changer ce régime protecteur : il compte mettre en place un blocage administratif, donc sans contrôle préalable du juge judiciaire, afin de faire retirer les propos qualifiés par la police ou la gendarmerie comme faisant l’apologie du terrorisme. Selon un amendement déposé par le rapporteur, les autorités pourraient même saisir l’hébergeur directement sans passer d’abord devant l’éditeur. 24 heures plus tard, faute de réponse satisfaisante, elles pourraient alors réclamer un blocage d’accès par les FAI.
Hier, durant la discussion générale du projet de loi à l’Assemblée nationale, le député Marc Dolez (GDR) a justement souligné que l'emploi du terme « apologie » allait nécessairement impliquer une condamnation des opinions. Ce fut l’une des rares voix discordantes avec le groupe des écologistes et Laure de la Raudière. Et pour cause, si le texte est voté, jauger des opinions, faire le tri entre le manifestement illicite et les discours simplement délirants, et ceux frôlant avec l’extrémisme sera de la compétence des forces de police, non plus du juge. Seule garantie, une personnalité désignée par la CNIL pourra intervenir et éventuellement saisir le juge administratif. Mais si les autorités de police et cette personnalité s’accordent en raison de sensibilités communes, tout sera bloqué dans un délicieux silence.