Le rapport du CSPLA est désormais disponible. On retrouve dans ses pages les différents éléments déjà révélés dans nos colonnes. Une confirmation : pour les ayants droit, le cloud peut entrer dans le champ de la rémunération pour copie privée. Mais les ayants droit restent divisés. Parfois encore c’est la technique qui dicte ses limites au droit.
On pourra télécharger le rapport et l’avis sur ces deux liens :
Dans son avis, le Conseil du Ministère de la Culture – composé d’une grande majorité d’ayants droit – souligne que le droit de la propriété littéraire et artistique est concerné par le cloud « dès lors que les services d’informatique dans les nuages offrent au public diverses possibilités d’usage (distribution, stockage, consultation), pour tous les genres d’oeuvres et objets protégés (musique, audiovisuel, livres, presse, arts visuels). L’informatique dans les nuages offre notamment de nouvelles fonctionnalités de synchronisation sans fil des contenus entre un nombre croissant de terminaux personnels, fonctionnalités qui semblent, en l’état de la technique, de nature à favoriser une multiplication des reproductions de ces contenus. » Seulement, le diable se cache dans les détails et les ayants droit se divisent sur l'alternative régime de la copie privée ou régime du droit exclusif.
Le CSPLA a isolé trois types de services dans les nuages. Les casiers personnels (Dropbox, OVH) qui sont des mémoires déportées où l’utilisateur va stocker ses fichiers. Les services de synchronisation associés à un service de vente (iTunes in the cloud, Google Play). Ici, un fichier stocké en ligne va « arroser » plusieurs appareils. Enfin, iTunes Match, ce service d’Apple qui scanne le catalogue de l’utilisateur pour proposer ces mêmes fichiers en équivalent dans les nuages, en général de qualité supérieure. Quand l’équivalent n’est pas trouvé, iTunes « uploade » le fichier de l’utilisateur sur le nuage afin d’enrichir son catalogue. Des services complexes mais sur le terrain juridique l’arbitrage se réduit à une alternative : ou c'est du droit exclusif et l’autorisation des ayants droit est nécessaire. Ou c'est de la copie privée, ce qui justifie une indemnisation (ou « rémunération »).
Le rapport se contente de dresser des pistes pour étendre au cloud la copie privée. Les détails manquent cruellement pour la mise en oeuvre de cet assujettissement. Mais on retrouve dans ces pages ce qui a plusieurs fois été révélé dans nos colonnes :
LCEN et copie privée
Ainsi, des ayants droit veulent profiter de ces travaux pour réduire le périmètre du régime des hébergeurs. Ceux qui proposent du stockage dans le cloud pourraient ainsi être privés de ce statut « grâce » à une lecture franco-française de la LCEN. (Pour plus d’informations) Les propos de l'avis laissent la porte ouverte à ce sujet, mais la mesure avait provoqué la colère des acteurs des télécoms.
La brèche vient d’une lecture de l’article article 6.1.2 de la LCEN qui définit l’hébergeur comme celui qui assure « même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services. » Le critère de la « mise à disposition du public » est exploité à plein régime : les services de casiers en ligne offrent en effet du stockage par défaut sans partage. Du coup, faute de mise à disposition du public, il faut retirer ce statut d’hébergeur à ces casiers en ligne. Problème : ce bout de phrase, celui de la mise à disposition, a été rajouté par la France dans la transposition de la directive fondatrice…
On refait l'iTunes Match
Des ayants droit refusent aussi de voir dans iTunes Match un système de lessiveuse à licence. Juridiquement, la source illicite corrompt toute les opérations successives et notamment la recherche d’équivalent côté iTunes. (Plus d’informations).
L’avis final constate cependant l’impossibilité de concilier droit et technique. Poliment, il souligne que « l’obtention de l’équivalent et de ses copies subséquentes par le biais de ce type de service ne nécessite pas, en l’état de la technique, que le fichier initialement détenu par l’utilisateur ait été acquis légalement par ce dernier ». En clair : vous pouvez lessiver dans iTunes Match ce que vous voulez, techniquement les ayants droit sont dépourvus de solutions techniques. L’avis note toutefois que « la fourniture du fichier de substitution reproduisant une oeuvre ou un objet protégé, de qualité différente de celui que le consommateur détenait préalablement, relève de l’exercice du droit exclusif des titulaires de droits d’auteur et voisins ». Ainsi, Apple devra bien obtenir l’autorisation des ayants droit avant d’exploiter ce service.
La fronde des producteurs de cinéma
Enfin, les divisions entre les ayants droit se confirment. Les producteurs cinématographiques et audiovisuels ne veulent pas étendre le régime de la copie privée « dans la mesure où l'exercice du droit exclusif d'autoriser permet d'appréhender entièrement l'activité des services d'informatique dans les nuages, et que le fait de reconnaître applicable dans certains cas l'exception de copie privée les empêcherait de négocier pleinement les conditions d'exploitation des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles par les prestataires concernés et remettrait en cause la capacité des titulaires de droits à lutter efficacement contre certains actes de contrefaçon ». (Pour plus d'information)
Application dans l'espace et doute sur le redevable
On ne sait d'ailleurs toujours pas comment et sur qui va être prélevées ces sommes, ni quel sera le champ d'application de la loi dans l'espace. Comment ponctionner un service de cloud mexicain utilisé par un internaute Français ? À Dijon, la réponse du ministère de la Culture à notre question n'est pas très nette. Côté ayant droit, ce rapport devrait à terme permettre de percevoir de la rémunération copie privée sur le stockage distant réalisé depuis une télévision connectée. (Pour plus d’information)
Le rapport du CSPLA ne parle pas des signaux d'alarme lancés par Bercy sur ce thème. Nous reproduisons donc la lettre confidentielle que lui avait adressée le ministère de l'économie (pour plus d'information) :