Info Next INpact : D’ici la fin de l’année, la préfecture de police de Paris devrait lancer quelques drones voler au dessus de la capitale et ses environs (départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne). Une expérimentation qui fait figure de première et qu’ont bien voulu nous présenter les autorités. Explications.
Alors que les drones de loisirs prennent clairement leur envol du côté des particuliers, la police se prépare tout doucement à sortir elle aussi les siens. Pour l’heure, il n’est cependant pas question de se lancer dans une éventuelle « guerre des drones », afin de pourchasser par exemple des personnes telles que Nans Thomas, ce lycéen condamné en début d’année pour avoir survolé sans autorisation la ville de Nancy à l’aide d’un appareil équipé d’une caméra (voir notre article). Par contre, l’aide des drones pourrait être la bienvenue lors d’événements jugés sensibles et potentiellement dangereux pour les forces de l’ordre ou même pour les pompiers.
De premiers vols prévus avant la fin de l’année à Paris et ses environs
Au travers d’une lettre d’information publiée au début du mois (PDF), la préfecture de police de Paris a justement annoncé qu’une expérimentation aurait lieu dans « les prochaines semaines », l’idée étant « de recourir aux drones afin de récupérer de l’information dans des zones risquées sans engager des personnels ».
Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec Régis Guyonnet, l’ingénieur qui s’occupe de cette expérimentation. Cet expert en charge de la prospective et de l’innovation nous a expliqué que la préfecture de police allait procéder par étapes, en commençant par un test « en environnement maîtrisé » avant la fin de l'année 2014 - très probablement à l’occasion d’un rassemblement festif ou sportif. Une opération dans un cadre plus sensible pourra ensuite être menée, mais pas cette année. « Peut-être pour 2015 » affirme prudemment l’intéressé.
« Notre démarche d'introduction passe par une phase d’expérimentation. Pour cela, on démarre en plusieurs étapes, avec un premier essai dans un environnement maîtrisé, pour voir quelle pourrait être la plus-value opérationnelle des drones » indique l’ingénieur. « Ce qu'on attend de cette expérimentation dans un premier temps, c'est de pouvoir tester la souplesse d'utilisation de la caméra embarquée du drone, de pouvoir tester l'apport des images qu'on obtient, de voir si elles sont d'une qualité suffisante pour qu'à terme ça puisse servir aux services de police et de secours [notamment aux Pompiers de Paris, ndlr]. Et puis il faut surtout qu'on vérifie que ce dispositif puisse être intégré dans un système global de commande, qu'il y ait un renvoi possible des images en temps réel vers les centres de commandement pour pouvoir avoir un retour sur les directives à prendre, etc. »
Plus concrètement, cette expérimentation se veut comme quelque chose de très restreint et de relativement encadré. « Ce sera limité en termes de durée d'usage. Ce sera des opérations ponctuelles, et ce sera un tout petit nombre de systèmes [et donc d’appareils, ndlr]. On est loin du développement massif que peuvent imaginer d'autres pays » affirme Régis Guyonnet, qui insiste sur le fait que les tests prévus pour les prochains mois ne viseront en aucun cas à couvrir une opération de police ou de secours.
Des tests via des prestataires privés avant tout achat définitif de matériel
Mais quel type de drones pourrait-on bientôt voir survoler Paris ? Deux choix s’offraient à la préfecture de police : soit des drones à voilure fixe (en gros, ceux avec des ailes et qui ressemblent à de petits avions), soit des drones à voilure tournante (c’est-à-dire ceux qui disposent d’hélices, à la manière des hélicoptères). Et c’est finalement le second type d’appareils qui a été retenu. « On s'oriente vers des drones à voilure tournante uniquement, notamment parce qu'il nous faut une capacité de vol stationnaire » indique Régis Guyonnet. Cela devrait surtout permettre de mieux stabiliser la caméra, en particulier si le drone reste longtemps au dessus d’une zone précisément délimitée. En outre, il aurait été difficile d’assurer le décollage et l’atterrissage des drones à voilure fixe en ville.
Pour autant, le modèle de drone qui sera utilisé n’est pas encore connu. En fait, plutôt que d’acheter un ou plusieurs appareils, la préfecture de police a préféré payer pour avoir une sorte de location « clés en main » de plusieurs types de drones. Des prestataires externes seront ainsi désignés, ce qui permettra aux forces de l’ordre de tester les équipements de différents constructeurs. Les drones évalués devront toutefois être plutôt petits, puisque les autorités souhaitent qu’ils pèsent 5 kg au maximum. « On testera plusieurs constructeurs et on gardera le plus intéressant » explique Régis Guyonnet. Le budget pour ces achats de prestations complètes ? « Quelques milliers d'euros » concède-t-il.
Ce n’est qu’une fois cette première phase d’expérimentation achevée que la préfecture de police pourra envisager d’acquérir ses propres drones. « Pour le moment, on réfléchit à l'acquisition d'un ou deux systèmes pour 2015, mais ce n'est pas encore... » affirme l’ingénieur. Par « système », il faut entendre le drone, sa station de sol, les éléments relatifs à sa maintenance, la formation des agents, etc.
Aucun survol des personnes ou des espaces privés (de type balcons ou jardins)
Les policiers, tout comme les particuliers, sont toutefois soumis à certaines contraintes d’ordre règlementaires. Des règles établies notamment par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) et dont a bien conscience la préfecture de police de Paris. « Si l’on veut assurer la sécurité des Franciliens et des opérateurs de drones tout le temps, on est obligés de respecter des contraintes strictes s’agissant des plans de vol. Donc ce que l'on fera, c'est qu'on ne survolera personne. On ne pourra pas suivre un groupe d'individus, on ne pourra pas se balader le long des rues avec les drones, etc. » explique en ce sens Régis Guyonnet. Avant de lâcher : « Tout de suite, ça limite l'usage qu'on peut faire des drones... »

Mais si l’idée est avant tout d’éviter qu’un appareil, notamment suite à un problème technique, ne tombe sur une personne, cette contrainte semble difficilement conciliable avec la volonté d’expérimenter les drones sur des zones relatives à des manifestations sportives ou festives - qui ont par nature vocation à accueillir du public. « Ce sera compliqué, concède Régis Guyonnet. C'est pour ça que même en intégrant complètement les différentes contraintes, on sait bien qu’il y aura des freins. L'usage s'est d'ailleurs très peu développé à cause de ces contraintes-là. »
Le défi sera d’autant plus important que les agents du ministère de l’Intérieur sont beaucoup moins expérimentés en ce qui concerne la troisième dimension que ceux du ministère de la Défense notamment. « On a toute une culture de l'aérien à acquérir » reconnaît à cet égard l’ingénieur en charge de l’expérimentation.
Sécurité routière, ordre public, aide aux secours : un potentiel très vaste à long terme
À terme, l’objectif de Régis Guyonnet est de démontrer l'intérêt du drone par rapport aux autres moyens vidéos dont dispose déjà la préfecture de police de Paris, que ce soit en termes de vidéosurveillance traditionnelle ou bien grâce aux images prises depuis l’hélicoptère dont disposent les forces de l’ordre. « Le drone doit s'inscrire dans ce cadre-là et si on se rend compte que finalement l'intérêt n'est pas avéré, parce que ce sont des systèmes qui sont quand même coûteux actuellement, alors on n'ira pas plus loin » affirme-t-il.
Par contre, « si le drone pouvait nous permettre de ne pas exposer d’agent à des situations de conflit ou de danger, ce serait gagné pour la technologie ! » soutient l’ingénieur, qui songe au potentiel extrêmement large des drones : sécurité routière, ordre public, secours à la personne, etc. Régis Guyonnet garde toutefois la tête froide, notamment en raison des contraintes règlementaires, mais également pour des questions financières : « Notre budget est très limité. Et surtout en général, les choix budgétaires en matière de nouvelles technologies sont censés améliorer ou optimiser l'efficience des services de police. C'est-à-dire que si l’on acquiert une technologie, on doit pouvoir s’attendre à des réductions de coûts par ailleurs. Or arriver à justifier l'usage des drones en disant "si on met des drones, on pourrait avoir moins de policiers en patrouille dans les rues", c'est difficilement justifiable... Un drone ne remplacera jamais un policier s'agissant de la sécurisation de sites ! »
Une expérimentation encore soumise à autorisation
S’il faudra attendre l’évaluation de cette expérimentation pour savoir si la préfecture de police de Paris entend pérenniser le dispositif ou non, sachez que l’opération doit encore obtenir deux autorisations afin de pouvoir officiellement débuter. Premièrement, une démarche doit être faite afin que le préfet donne son accord à cette expérimentation. Deuxièmement, c’est un dossier auprès de la DGAC qui devrait être déposé prochainement. Les autorités devront y détailler leur dispositif (caractéristiques techniques des drones qui seront testés par les prestataires, leur robustesse, etc.), mais également l’usage qui en sera fait - lieux, périodes de vol...
Et la CNIL dans tout ça ? « On travaille en toute transparence avec la CNIL et on les a déjà informés de notre démarche » répond Régis Guyonnet, qui espère pouvoir échanger prochainement avec les services de la gardienne des données personnelles.
L’avis des citoyens sera également pris en compte, promet l’ingénieur : « Bien évidemment, la préfecture de police observera la réaction du public et des Franciliens quand elle déploiera les drones sur les premières expérimentations. Si on se rend compte que dès la première intervention, il y a une réaction citoyenne forte ou que ça n'apparaît pas si intéressant que ça, on s'en arrêtera là. »