Plusieurs noms circulaient jusqu’en dernière ligne droite. Najat Vallaud-Belkacem, Ségolène Royal, Bertrand Delanoë, et même Frédérique Bredin, l’actuelle numéro un du CNC. Finalement, la nouvelle ministre de la Culture sera Fleur Pellerin, celle qui fut autrefois ministre déléguée à l'Économie numérique jusqu’en mars 2014 et depuis secrétaire d'État en charge du Commerce extérieur.
Sur le vernis « people », cette nomination a la saveur d’une petite vengeance. Selon le Canard Enchaîné, Aurélie Filippetti aurait en effet souhaité monter seule les marches du Palais lors du dernier Festival de Cannes, laissant l’entrée de service à sa concurrente. Désormais, c’est elle qui s’installe Rue de Valois, Aurélie Filippetti ayant préférer partir plutôt qu’être évincée du gouvernement Valls 2. Sur l’épisode de Cannes, « même le jour de mon départ j'ai donc droit aux ragots infâmes sur les marches du festival de Cannes...Quelle misère... Tous mes vœux à Fleur » commente l’ex-ministre sur Twitter.
Netflix, la chronologie des médias
Plus sérieusement, sur le bureau encore chaud d’Aurélie Filippetti, les dossiers qu’attendent cette quadragénaire, élève de l’ENA, magistrate à la Cour des comptes, sont lourds. C’est évidemment l’arrivée de Netflix, quoi que la patate chaude de la chronologie des médias est désormais dans les mains de la filière culturelle, sous l’égide du CNC. En 2012, elle exposait en tout cas dans une interview aux Échos que cette chronologie doit continuer « à constituer un point d'équilibre dans le financement de la création audiovisuelle et cinématographique. Nous devrons donc être créatifs pour, d'un côté, préserver le financement de la création, qui fait partie de notre exception culturelle et, de l'autre côté, faire en sorte que l'économie numérique continue à se développer. L'équilibre à trouver est très subtil. »
Le projet de loi Création toujours en question
Il y a tout autant le grand projet de loi Création. Échafaudé par Aurélie Filippetti, celui-ci n’avait pu arriver à terme, allant de report en report, au grand désespoir des ayants droit de l’audiovisuel. Il doit, sauf changement de cap, consacrer le CSA comme régulateur des contenus en ligne, à leur plus grande satisfaction. Se posera alors la question du sort de la Hadopi, sujet qui a été l’objet de couacs entre Aurélie FIlippetti et sa remplaçante.
En dernière ligne droite, l’ex-locataire de la Rue de Valois a en tout cas clairement promis que cette autorité verrait son budget sacralisé pour des années... Début juillet, Manuel Valls avait d’ailleurs promis de « garantir le budget de la culture pour les trois années à venir ». Dans son discours, le locataire de Matignon assurait alors : « Moi je veux être le Premier ministre qui remet la culture comme la grande priorité du quinquennat de François Hollande parce que la culture c'est la vie. »
Fleur Pellerin avait été prudente sur les questions culturelles. En 2012, à la préhistoire de la présidence Hollande, elle répondait à un questionnaire de Candidats.fr, une initiative de l’April, association œuvrant pour le logiciel libre. « Après l’impasse répressive d’Hadopi, François Hollande a affirmé sa volonté de développer l’offre culturelle en ligne dans le respect de la création. La méthode retenue est celle d’une large concertation qui débouchera sur une loi qui remplacera la loi Hadopi pour mettre en place un véritable « acte II » de l’exception culturelle. La question des DRM sera examinée dans ce cadre. Ce que je constate, c’est que l’industrie du disque a, pour une large part, renoncé aux mesures techniques de protection. Il faudra donc se poser la question du maintien du cadre réglementaire actuellement en vigueur. Enfin, François Hollande a annoncé sa volonté de porter ce débat au niveau européen. Tous les pays d’Europe sont en effet confrontés à la problématique de la diffusion des oeuvres culturelles en ligne ».
Neutralité, fiscalité
Dans le même temps, elle se disait « opposée à la brevetabilité du logiciel », tout en se disant favorable à la neutralité, qui « doit être la règle », épaulée par des « pratiques transparentes » où « le régulateur, l’ARCEP, doit pouvoir se porter garant de la neutralité des échanges ». Mais en juillet 2012, elle révisait sa position : « la neutralité du Net est un concept américain, qui a tendance à favoriser très considérablement les intérêts économiques de Google, Facebook, Apple et consorts. Donc je pense qu'il faut faire aussi un peu attention, lorsqu'on est sur du principe théorique, à ne pas non plus se tirer une balle dans le pied. »
Dans une interview sur Next INpact, la ministre chargeait la confortable situation fiscale des GAFA (Google, Apple, Facebook ou Amazon). Consciente des difficultés à réviser le dédale des conventions fiscales bilatérales, elle misait sur « le cadre d’un modèle OCDE », avant de tempérer : « ce n’est pas évident ». De même, quant au cadre européen, « il faut l’unanimité sur les questions de fiscalité. C’est donc compliqué, mais en faisant des alliances avec d’autres pays concernés par ces problématiques, je pense qu’on va pouvoir avancer. »
Le blocage sans ou avec juge
Sur la question du blocage, elle avait un temps refusé tout blocage administratif. Le gouvernement « n’autorisera pas le blocage de sites sans autorisation du juge. Nous y restons attachés » disait-elle à l’Assemblée nationale. C’était en février 2014. Quelques jours plus tard, changement de cap : « la position retenue est qu’il n’y aurait pas de filtrage sans intervention d’une autorité indépendante » révisait la ministre déléguée au numérique, promettant alors « une loi numérique à l’été avec un volet droit et libertés et un volet innovation où il faudra bien que l’on règle cette question ».
Désormais entre les mains d’Axelle Lemaire, le projet de loi en question n’a toujours pas été présenté. Au contraire, le gouvernement Valls a ouvert la brèche à un nouveau cas de blocage administratif aux fins de lutte contre l’apologie du terrorisme. Cette question devrait également éclore avec les suites à donner au rapport de Mireille Imbert-Quaretta, l’un des sujets importants au sein de la Hadopi, laquelle veut lutter contre les sites de streaming et de direct download illicites. Comment armer cette autorité (ou une autre) afin d’assécher ces filières ? Faudra-t-il opter pour un filtrage non généralisé, comme le préconise l'actuelle présidente de la Commission de protection des droits de la Hadopi ?
Pour affronter ces sujets dédiés aux nouvelles technologies, l’expérience de Fleur Pellerin au poste de ministre déléguée au numérique lors du gouvernement Ayrault devrait compter, spécialement grâce au réseau constitué lors de ces deux années. Restera à voir si le mariage avec l’industrie culturelle, la Hadopi et le CSA tiendra dans le temps.
@fleurpellerin a été la première à bouger sur la fiscalité des Gafa. Et pour la culture l'équité entre tous les acteurs est un sujet majeur
— Pascal Rogard (@fandoetlis) August 26, 2014