Accusant Amazon de « dézinguer complètement la filière culturelle », un libraire français vient d’inviter les consommateurs à ne plus acheter de livres sur le célèbre site de vente en ligne. Une sorte d’appel au boycott qui intervient alors que la société américaine a été vivement critiquée ces derniers jours aux États-Unis par un collectif de plus de 900 auteurs, dont Stephen King.
Le géant de la vente en ligne Amazon compte décidément de plus en plus d’ennemis. Invité hier sur France Inter pour évoquer le conflit qui oppose outre-Atlantique les auteurs américains au cybermarchand, Renny Aupetit, directeur du réseau de libraires « lalibrairie.com », a carrément appelé les particuliers à boycotter le populaire site de vente sur Internet. « Aujourd'hui, ce sont les auteurs qui montent au créneau. Et moi j'aimerais bien qu'un jour ce soit les internautes qui montent au créneau. Parce qu'en leur promettant de la culture pour moins cher, Amazon est en train de dézinguer complètement la filière culturelle, que ce soit en France ou d'autres pays ! » a ainsi déploré ce professionnel de l’édition.>
Renny Aupetit n’a pas manqué d’insister sur le fait que la stratégie d’Amazon consiste à pratiquer des tarifs très agressifs, afin d’éliminer progressivement la concurrence, et ce quitte à accumuler les pertes. Lors du dernier trimestre, le géant a en effet affiché une perte de 126 millions de dollars, contre « seulement » 7 millions en 2013 (voir notre article).
Selon Renny Aupetit, « Amazon a commencé à faire son travail de sape en France ». L’intéressé a notamment pointé du doigt le contournement de la récente loi dite Anti-Amazon (alors que le législateur a interdit la gratuité des frais de port, le cybermarchand les facture désormais un centime d’euro), ainsi que son interprétation de la législation sur le travail. « On voit bien qu'à terme, ils ont vraiment envie de dézinguer véritablement la manière dont l'économie du livre est construite » a-t-il déclaré, critiquant le discours « très populiste » de l’Américain. Avant d’ajouter : « On sait en France qu'un emploi créé chez Amazon, c'est quatorze emplois détruits en librairie. Donc à quoi ça sert tout ça ? »
« Amazon, c'est Dark Vador, a poursuivi Renny Aupetit. On sait maintenant qu'il est passé du côté obscur ! Il est méchant et cruel, donc effectivement il faut s'attendre à quelque chose de très très violent et qui va durer longtemps. » Le libraire en a surtout appelé ses padawans à la rescousse : « Ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est de se demander à quel moment les lecteurs vont monter au créneau, prendre conscience qu'eux aussi ils ont un pouvoir, qu'acheter, c'est voter. Et qu'à chaque fois qu'on achète un livre sur Amazon, on renforce le pouvoir et donc la nuisance d'Amazon dans la chaîne du livre ».
Les consommateurs invités à éviter Amazon, dans leur propre intérêt
« J'invite les gens en France à comprendre que le livre étant au même prix partout, ils ont le choix de choisir à qui ils achètent leur livre et qu'en achetant Amazon, ils renforcent Amazon. En achetant à quelqu'un d'autre qu'Amazon, ils déstabilisent Amazon » a-t-il ajouté.
Le discours de Renny Aupetit est finalement très semblable à celui de l’économiste Dominique Sagot-Duvauroux, que nous avions interrogé lors des débats relatifs à la loi Anti-Amazon. « Le consommateur, son intérêt aussi, c'est de trouver un livre qui corresponde à ses préférences et à ses attentes. Si le consommateur, par la disparition des librairies, a de moins en moins la possibilité d'être informé sur les livres qui pourraient l'intéresser, au bout du compte il n'est pas vainqueur » expliquait ainsi ce spécialiste des filières culturelles. « Si l’on prend une analyse plus générale qui consiste à dire que l'intérêt du consommateur passe par le fait qu'il rencontre le plus facilement possible les livres qui vont lui apporter de l'utilité, du plaisir, alors on a intérêt à ce que les librairies demeurent » ajoutait-il.
Régulièrement l’objet de ce type d’attaque, le cybermarchand a pour habitude de soutenir que son offre se révèle complémentaire à celle des libraires traditionnels : « Du point de vue d'Amazon, Internet est un média qui facilite l'accès aux livres, y compris l'accès aux livres rares, ceux qu'on ne trouve plus forcément en librairie. C'est à ce titre un moyen de distribution complémentaire aux librairies traditionnelles ». Le géant aime également souligner que « plus d'un millier de libraires » français profitent aujourd’hui de son site Internet pour écouler leur marchandise.