En guerre avec la branche américaine d'Hachette depuis des mois, Amazon continue de faire couler de l'encre électronique. Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, a ainsi déclaré au Monde que les pratiques du cybermarchand étaient inacceptables, confirmant ses propres propos du mois de mai dernier.
900 auteurs contre Amazon dans le New York Times
Si cela transparait peu en France, de l'autre côté de l'Atlantique, l'opposition entre Amazon et Hachette prend un peu plus d'importance chaque jour. Le dernier évènement date de dimanche. Un groupe de 900 auteurs, comprenant notamment Stephen King, ont acheté une double page du New York Times pour pointer du doigt les pratiques du marchand. Il faut dire que ce dernier souhaite tirer les prix des ebooks vers le bas, qu'il trouve trop élevés. Les éditeurs refusant son « désir » se voient ainsi désavantagés sur le site de la boutique en ligne, que ce soit par des délais de livraison importants ou l'impossibilité de précommander leurs futurs livres. Disney, aussi en guerre face au géant, en subit d'ailleurs actuellement les conséquences pour ses derniers films.
Amazon, en riposte, a créé le site ReadersUnited.com. Le créateur du Kindle y explique notamment que la baisse du prix de l'ebook n'est que la suite logique d'un marché qui a toujours tiré les tarifs vers le bas. Un peu d'histoire est ainsi faite, le marchand rappelant que l'arrivée massive du livre de poche un peu avant la seconde Guerre mondiale avait aussi bouleversé le marché, les auteurs comme les éditeurs pointant du doigt ces petits livres à prix cassé. La page vise toutefois directement Hachette. Sa condamnation pour collusion (en savoir plus) est ainsi rappelée avec finesse, et il est demandé aux internautes d'écrire directement au PDG d'Hachette USA en faveur de la baisse des prix des ebooks.
« Je défends l'écosystème du livre en entier, pas un acteur en particulier »
« Cet épisode est une nouvelle révélation des pratiques inqualifiables et anticoncurrentielles d'Amazon, a pour sa part réagi Aurélie Filippetti dans les colonnes du Monde. C'est un abus de position dominante et une atteinte inacceptable contre l'accès aux livres. Amazon porte atteinte à la diversité littéraire et éditoriale. » La ministre note cependant que ce n'est pas le cas Hachette qui est ici en cause. D'ailleurs, « les auteurs qui ont signé la tribune ne sont pas tous publiés par Hachette, ils ont simplement conscience de l'intérêt général. Pour ma part, je défends l'écosystème du livre en entier, pas un acteur en particulier. »

Cette réaction chez nos confrères n'est pas surprenante, sachant qu'en mai dernier, sur le site officiel du ministère de la Culture, Aurélie Filippetti avait déjà prononcé un discours similaire. Elle jugeait ainsi « inacceptables les pratiques d’Amazon (...) Une nouvelle étape a été franchie par le groupe de vente en ligne. Faire du chantage aux éditeurs en restreignant l'accès du public aux livres de leurs catalogues pour leur imposer des conditions commerciales plus dures n'est pas tolérable » estimait alors la ministre il y a moins de trois mois.
Filippetti menaçait alors directement Amazon d'une enquête par la Commission européenne pour abus de position dominante. Un message en partie écouté, dès lors qu'une semaine plus tard, Joaquin Almunia, le commissaire européen à la concurrence, indiquait que la Commission essayait « de comprendre ce qui se passe là-bas. Nous regardons et essayons de comprendre. » Il n'était toutefois pas question à ce moment d'une enquête et encore moins de sanction sur le sujet, sachant que le conflit a lieu outre-Atlantique pour l'instant.
Amazon : « Les ebooks peuvent et doivent être moins onéreux »
En France, du fait des prix fixes des livres, un tel débat peut difficilement avoir lieu. Aux États-Unis, où les tarifs sont libres et où chaque éditeur négocie avec chaque boutique, tout est possible. La philosophie d'Amazon est qu'avec des prix bas, les ventes exploseront. Sur ReadersUnited.com, la boutique explique que « nombreux ebooks sont vendus à 14,99 $ et même à 19,99 $. C'est anormalement élevé pour un ebook. Avec un ebook, il n'y a pas d'impression, pas de surimpression, pas besoin de prévoir, pas de retour, pas de ventes perdues à cause de rupture de stock, pas de frais d'entreposage, pas de frais de transport, et il n'y a pas de marché secondaire - les ebooks ne peuvent pas être revendus comme des livres d'occasion. Les ebooks peuvent et doivent être moins onéreux. »
Certains auteurs et éditeurs estiment néanmoins que brader les tarifs des livres électroniques aura à la fois des conséquences minimes sur les ventes en ligne, tout en dévalorisant leur travail et les livres papier. Qui a raison, qui a tort ? Il est difficile de trancher, dès lors qu'à première vue, les consommateurs ont tout pour pencher dans le sens du géant du commerce en ligne. Ce dernier ne le sait que trop bien et du fait de sa position de vendeur numéro un de livres aux États-Unis, il exploite ses atouts pour maintenir la pression sur Hachette et ses auteurs. Dans leur lettre disponible sur AuthorsUnited, les 900 auteurs demandent surtout que le conflit entre Hachette et Amazon prenne fin, puisque ce sont les écrivains qui sont pris en otage dans cette affaire. La page propose d'ailleurs d'écrire directement à Jeff Bezos, le fondateur et patron d'Amazon, ce qui explique la réplique similaire du cybermarchand via ReadersUnited.com.
« Ce sont des banderilles que nous continuerons à planter dans le flanc d'Amazon »
Notez qu'Aurélie Filippetti ne s'est pas contentée de rappeler au Monde sa pensée au sujet de ce conflit. À propos de l'interdiction des frais de port gratuit, qui a conduit les boutiques en ligne à pratiquer un tarif exorbitant de... 1 centime pour les frais d'envoi, la ministre a tenu à s'expliquer : « Nous n'avions jamais dit que cette loi allait tout régler. C'était un combat politique. Nous savions qu'ils allaient chercher à la contourner. Nous avons agi par la loi pour que cette entreprise ne puisse pas utiliser l'argument commercial de la gratuité des frais de port. Ce sont des banderilles que nous continuerons à planter dans le flanc d'Amazon. »
Si en France, aucune plainte contre Amazon n'a eu lieu vis-à-vis des livres et des ebooks, la compagnie américaine fait néanmoins l'objet d'une enquête fiscale, ce qui est aussi le cas outre-Manche. Quant à nos voisins allemands, les éditeurs locaux ont porté plainte en juin dernier contre la boutique en ligne pour abus de position dominante. Une plainte regardée de près par Bruxelles. Les problèmes d'Amazon sont donc loin d'être terminés.