Samedi, lors des rencontres de Dijon, une petite scène est passée presque inaperçue lors du débat sur la rémunération pour copie privée. Elle témoigne des rapports étroits noués par les ayants droit et les élus par le levier de la copie privée.
Les échanges concernaient les menaces européennes qui planent autour des 25% de la copie privée. Un rappel. Conformément à la loi, les ayants droit n’empochent pas 100% de la copie privée, mais 75%.
Selon l’article L321-9 du CPI, les sociétés de perception doivent consacrer 25 % des sommes collectées « à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes ». Et l’article R-321- 9 de préciser que « l’aide à la création » s’entend aussi « des actions de défense, de promotion et d'information engagées dans l'intérêt des créateurs et de leurs œuvres » (ce qui peut viser les frais de défense en justice, les agents assermentés, etc.)
Problème, des affaires lancées en Autriche devant la Cour de Luxembourg menacent cette mutualisation. En effet, la copie privée est juridiquement une indemnisation qui doit couvrir l’intégralité d’un préjudice. Les bénéficiaires de la RCP devraient donc toucher 100% . Pas une portion.
En janvier 2011, Laurent Petitgirard (SACEM) considérait déjà ces 25% comme un palliatif des aides que ne verse pas le ministère de la Culture. Une saveur de politique publique dans les mains des sociétés de gestion collective. Samedi, à Dijon, Jean Noel Tronc, président de la SACEM depuis juin 2012, a enrichi l’analyse avec le contexte de la loi du 20 décembre 2011 sur la copie privée.
Plébiscite
Cette loi, dont le brouillon a été rédigé par les ayants droit en commission, a sanctuarisé des flux qui devaient être déclarés comme illicites suite à un arrêt du Conseil d’État. En décembre 2011, ce texte très ambitieux avait été plébiscité par les députés. Et pour cause, un seul parlementaire avait voté contre !
Sur 491 suffrages exprimés, 490 étaient pour l’adoption de cette loi. Dans la foulée, les bénéficiaires de la RCP se félicitaient alors « de l'esprit de responsabilité des parlementaires qui, au-delà des différences partisanes, ont fait le choix de soutenir un projet de loi à l'ambition réaliste et circonscrite ». Peu après, les sénateurs suivaient le pas.
Jean-Noël Tronc n’était pas en responsabilité lors du vote, mais sa base de connaissance a été mise à jour par le monde du cinéma. Ses propos tenus à Dijon :
« Je me suis fait expliquer par beaucoup d’entre vous qu’une des raisons pour lesquelles un grand nombre de parlementaires, c’était à dire des élus nationaux, se sont mobilisés quand on leur a demandé de le faire, c’est que la copie privée, ils ont en tout cas un bénéfice : c’est celui des 25 % qui contribuent dans leur commune, dans leur département, dans leur région, à aider ce qui [soutient] la création (…) notamment tout ce qui tourne autour du spectacle vivant. ».
25 %, le liant entre décideurs publics et créateurs
Du coup, si la CJUE venait à déclarer ces 25% illicites, « nous perdrons, parlons-nous très clairement, un levier important de pédagogie, de sensibilisation, on peut même dire de solidarité entre décideurs publics et créateurs autour de la copie privée. »
Dans le passé, cette solidarité a été diversement appréciée. Lors des discussions autour de la loi DADVSI, quand planait l'ombre de la licence globale, le député Bernard Carayon (UMP) s'était d’ouvertement plaint du « chantage » exercé par les ayants droit sur le financement des festivals (à 1:15 sur cette vidéo) Les propos de Tronc témoignent de l'importance qu'accordent les sociétés de gestion collective au levier des 25% : un instrument de sensibilisation, pour ne pas dire plus.
Après les propos du président de la SACEM, Pascal Rogard est vite intervenu pour redorer la situation et dépayser le sujet : les parlementaires « se sont aussi mobilisés parce que la France est quand même un des rares pays d’Europe qui défend la création » soutient le directeur général de la SACD avant de tâcler Bruxelles :
« l’Europe est contre la création [...] Chaque fois qu’on veut faire quelque chose, on a une armée de directeurs, sous directeurs, de bureaucrates à Bruxelles qui font tout pour bloquer. Chaque fois qu’on veut une mesure positive pour la création, on doit négocier, on doit attendre, on perd de l’efficacité. »