Tandis que Google rachète diverses start-ups pour améliorer ses services et connecter la planète, Facebook a frappé un grand coup médiatique il y a une dizaine de jours. Le réseau social, via son projet Internet.org, a en effet proposé à la population de Zambie une application permettant d'aller sur Internet sans que cela ne leur coûte un centime. Un excellent moyen de démocratiser Internet ? Oui et non.
Il y a près d'un an, Google et Facebook ont annoncé à quelques mois d'intervalle leur volonté de connecter la planète via des réseaux mobiles. Dans un premier temps, l'objectif était déjà de fournir un accès à Internet aux populations du Sud, ceci que ce soit à l'aide de ballons comme le teste Google en Océanie, ou pourquoi pas plus tard via des mini-satellites ou bien des drones. Mais fin juillet, Facebook a montré un autre visage de son projet Internet.org, qui compte des partenaires importants comme Samsung, Nokia, Qualcomm, Opera et Ericsson.
Le réseau social a en effet dévoilé l'application Internet.org. Bonne nouvelle, tous les services internet accessibles via l'application sont gratuits et ne décomptent donc aucun crédit au client. Mauvaises nouvelles, l'offre est réservée aux clients d'Airtel Zambie, à ceux disposant d'un appareil Android, et surtout, elle est limitée à 13 sites en tout et pour tout. Dire que Facebook apporte donc un internet gratuit aux Zambiens est donc déjà un sacré raccourci. Mais il y a plus problématique.
Bien entendu, certains diront que treize sites valent mieux que zéro. Ou encore qu'il ne s'agit là que d'un début et que d'autres services, d'autres systèmes d'exploitation mobiles, d'autres opérateurs et d'autres pays seront probablement concernés dans le futur. C'est vrai. Mais analysons tout d'abord les treize petits sites et services disponibles via l'application (par ordre alphabétique) :
- AccuWeather : un site de météo bien connu
- Airtel : le site de l'opérateur partenaire
- eZeLibrary : un site où l'on peut lire la constitution du pays et... c'est tout. Il existe trois rubriques, et seule celle sur la constitution est valide. Les deux autres, censées présenter les lois du pays, sont « still under construction... »
- Facebook : évidemment, mais la lecture de vidéo est tout de même désactivée
- Facts for Life : un site de conseils pour les enfants (maladies, nutrition, etc.) poussé par l'Unicef
- Google Search : seule la recherche est gratuite, surfer ensuite sur les sites est payant
- Go Zambia Jobs : un site de recherche d'emplois en Zambie
- Kokoliko : un autre site de recherche d'emplois en Zambie
- MAMA (Mobile Alliance for Maternal Action) : un autre site de santé dédié aux mères
- Messenger : celui de Facebook, cela va sans dire
- Wikipédia : on ne présente plus
- WRAPP (Women’s Rights App) : un site sur les droits des femmes en Zambie
- Zambia uReport : une page du site de l'Unicef, toujours lié à la santé, aux maladies et à la nutrition
Le bilan est alors très simple, on retrouve un site de météo, deux d'emplois, deux liés au droit, trois à la santé, un pour l'opérateur, en plus de la recherche sur Google, de Wikipédia, du site de Facebook et son application Messenger. À moins d'une grande surprise, hormis Wikipédia, AccuWeather, Google et Facebook, le reste a bien peu de chance d'être utilisé régulièrement, quand bien même ils présentent un intérêt pour une partie de la population.
Le problème avec une telle liste restreinte, est que non seulement cela ne reflète pas Internet, mais surtout, cela crée un défaut de concurrence évident. Le projet Internet.org avantage ses partenaires et en particulier Facebook. On pouvait se douter qu'une telle offre ne pouvait pas être 100 % gratuite sans retour quelconque. Ici, les données des utilisateurs seront certainement bien exploitées par Facebook.
Mais à l'image du YouTube illimité chez SFR, et sous couvert de fournir un service en plus (ce qui est toujours appréciable au premier abord), la question d'une concurrence saine voire de la neutralité du Net entre en compte. L'enfer est pavé de bonnes intentions. En souhaitant offrir quelques services gratuitement aux Zambiens, Facebook capte surtout une audience importante aux dépens de ses concurrents par exemple.
On remarquera d'ailleurs qu'Airtel met particulièrement en avant sur son site ou encore sur les réseaux sociaux non pas l'application Internet.org, mais un accès gratuit à Facebook pour tous. Débutée le 13 juin dernier, l'offre ne durera que trois mois et n'est cette fois pas limité à un OS. L'accès sans frais s'applique de même à la fois au site et à l'application. Les appels vocaux sont par contre exclus de l'offre.
Un tel accès illimité et sans frais à Facebook n'est pas nouveau. Le réseau social a proposé cette opportunité dans de nombreux territoires dans le monde, y compris en France. Il y a quelques années, pour attirer les plus jeunes, M6 Mobile avait par exemple lancé un forfait bloqué à 22,99 euros par mois comprenant 1h30 d'appel, les SMS illimités, les mails illimités et enfin l'accès à trois sites : Facebook, Twitter et Myspace (oui, même lui). Outre le tarif qui peut paraitre édifiant pour les services rendus, sachant que cela impliquait un engagement de deux ans, on remarque donc qu'un tel type d'accès n'est pas neuf, même si en l'occurrence ici, un semblant de concurrence existait entre des services similaires.
Si Facebook apporte à première vue un service supplémentaire, ce qui peut paraître positif, cela annihile néanmoins aussi la concurrence d'un certain point de vue. C'est d'autant plus le cas pour les populations les moins bien loties, qui ne dépasseront certainement pas le cadre de la liste fournie par Internet.org tant que leur situation perdurera. Sous couvert d'apporter Internet au monde entier, Facebook apporte surtout ses propres services, et pas grand-chose d'autre. Est-ce vraiment une bonne chose ?