Parfois, les campagnes de financement sur Kickstarter peuvent prendre un tour complètement inattendu. Dans le cas d'Areal, un jeu conçu par d'anciens développeurs de la franchise S.T.A.L.K.E.R., la campagne vient d'être suspendue suite à des dons suspects enregistrés ces derniers jours. Dans le même laps de temps, l'équipe du jeu, d'origine ukrainienne, affirme avoir reçu une lettre de soutien de la part d'un certain Vladimir Poutine.
Le financement participatif a montré ces derniers temps qu'il était un très bon moyen pour certains studios de trouver les fonds nécessaires à la réalisation de leurs projets. Parfois, les choses se passent un peu plus difficilement que prévu, des accidents ont déjà eu lieu sur des titres à petit budget, comme nous avons pu l'expliquer dans notre dossier sur le sujet l'été dernier, mais en règle générale, quand un projet recueille assez d'argent il est mené jusqu'au bout.
Dans certains cas, le projet n'a même pas besoin d'être financé pour qu'il devienne un véritable fiasco. L'équipe de West Games, formée par d'anciens développeurs ukrainiens de la franchise S.T.A.L.K.E.R. ont pu s'en rendre compte à leurs dépens ses derniers jours.
Areal, une bonne idée qui a rapidement mal tourné
L'équipe de West Games a lancé sa campagne pour Areal le 24 juin dernier. Il y est présenté comme un jeu de tir dans un monde ouvert, avec une histoire non-linéaire, dans la droite lignée de ce que pouvait proposer S.T.A.L.K.E.R. en son temps. Des mécaniques sont empruntées aux RPG afin de permettre à votre personnage d'évoluer et mieux s'adapter à son environnement plutôt hostile.
L'histoire se déroule autour d'un cratère créé par l'impact d'une météorite, qui a amené avec elle un nouveau matériau : la Metamorphite. Celle-ci a une fâcheuse tendance à se répandre et à « corrompre » l'ensemble de la planète, ne laissant derrière elle que zombies et animaux mutants.
Les développeurs annoncent vouloir sortir leur jeu sur Mac, PC (Linux et Windows), PS4, Xbox One et Wii U. Pour un jeu d'une telle envergure porté sur autant de plateformes, on pouvait s'attendre à ce que le budget nécessaire frôle au minimum le million de dollars, mais il n'en est rien. Le studio ne demande que 50 000 dollars pour réaliser son projet.
Rapidement, les premiers dons affluent, et le projet reçoit le soutien de très exactement 750 personnes en l'espace de deux jours, pour un montant total de 28 773 dollars. Mais les dons se tarissent et les semaines suivantes le jeu ne recueillera qu'entre 30 et 1 220 dollars par jour. Certains jours, le bilan est même négatif, quelques donateurs choisissant de se rétracter.
En effet, certains donateurs sur Kickstarter ont commencé à émettre des doutes sur la viabilité du projet. Le budget annoncé de 50 000 dollars leur semble plus qu'insuffisant pour mener à bien une telle aventure et surtout, les « backers » se plaignent de ne voir aucune image du jeu et de son moteur, le studio ne proposant que quelques artworks préliminaires à se mettre sous la dent.
Pire encore, Vostok Games, un studio monté après la fermeture de GSC Game World, la structure à l'origine de la saga S.T.A.L.K.E.R. a fait savoir sur son forum que les membres de West Games n'ont en réalité jamais travaillé sur la franchise. Le post a depuis été effacé, mais nos confrères d'Eurogamer ont signalé sa présence. Un contributeur de Forbes s'en est également ému et a publié un long historique de l'affaire. Tout ceci a assez largement nui à l'image du jeu, avec des conséquences mécaniques sur les dons...
Vladimir Poutine arrive en sauveur... ou pas
L'affaire aurait pu tout simplement s'arrêter là, mais le meilleur reste encore à venir. Le 19 juillet, dans une mise à jour publiée sur Kickstarter, Eugène Kim le président de West Games explique avoir reçu un mail étrange avec l'en-tête de la présidence russe et signé par... Vladimir Poutine dont le contenu suit :
« Cher Eugène
Ma fille m'a parlé de votre jeu nommé Areal, qui est le successeur spirituel de STALKER, et m'a dit qu'elle a donné de l'argent pour soutenir votre projet sur Kickstarter. J'aime aussi les jeux vidéo notamment les jeux de tir et j'aime cette idée. Il est important que nos peuples ne se tirent pas dessus, mais qu'ils jouent plutôt à des jeux comme celui-ci.
La première partie de STALKER prenait place en Ukraine, et dans le second jeu Areal, vous placez les événements au cœur de la Russie, et s'il est question d'une guerre avec des mutants dans ce jeu, et bien je trouve cela très intéressant. Je me suis familiarisé avec votre idée, et je l'apprécie vraiment.
Si vous me laissez la chance de jouer à la version alpha de votre jeu quand elle sera prête, je vous inviterai d'avance au Kremlin pour vous rencontrer personnellement. Soyez prêt à jouer un peu et à parler des intérêts de la jeunesse et des joueurs de votre pays
Sincères salutations
V. Poutine »
Si le studio affirme ne pas être certain de la véracité de cette missive, il n'en fallait pas plus pour que la communauté s'enflamme à ce sujet, d'autant plus que le contexte international entre la Russie et l'Ukraine était alors plus que tendu suite au crash du MH 17. La page Kickstarter qui recevait alors entre 50 et 250 commentaires par jour lors de la semaine précédente a vu affluer plus de 1200 commentaires.

Un dernier rebondissement va encore venir remuer cette affaire qui ne sent déjà plus très bon. Au lendemain de la publication de l'e-mail prétendument envoyé par Vladimir Poutine, la cagnotte se met subitement a grimper de près de 12 000 dollars. Rebelote le lendemain. Pourtant, le nombre de contributeurs n'a pas augmenté de façon substantielle, puisque seulement deux nouvelles têtes sont venues s'ajouter aux 1000 autres ayant participé précédemment.
Les théories concernant l'origine de ces fonds vont bon train. Certains supposent qu'il s'agirait de la contribution de la fille du président russe, tandis que d'autres misent plutôt sur un apport personnel des développeurs sur leur propre projet, ce que le règlement de Kickstarter interdit formellement. Dans le doute, la plateforme a suspendu hier la campagne de financement d'Areal le temps de faire la lumière sur les derniers évènements.
Le studio de son côté se dit victime d'une « guerre d'information » entre Russes et Ukrainiens en raison des fortes tensions sur le plan diplomatique entre les deux pays. Il serait également question de coup bas en provenance de la concurrence, ce qui dans un cas comme dans l'autre est assez difficilement vérifiable. Quoi qu'il en soit, West Games a annoncé que le financement de son jeu continuait, cette fois-ci sans l'aide de Kickstarter, mais directement sur son propre site.