Terrorisme : les députés PS négligent désormais les risques de surblocage

In memoriam, LOPPSI
Droit 6 min
Terrorisme : les députés PS négligent désormais les risques de surblocage
Crédits : Assemblée nationale

Les députés ont adopté hier en Commission parlementaire et à l’unanimité le projet de loi de Bernard Cazeneuve. Le texte a été en nombreux points amendé. On retiendra notamment l’arrivée de la CNIL dans la boucle du blocage des sites et la possibilité pour les autorités de sanctionner des propos non publics provoquant au terrorisme sur Internet.

Bernard Cazeneuve

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

 

Comme une lettre à la Poste ! Le projet de loi sur le terrorisme a été adopté hier en Commission des lois. Hier, le ministre de l’Intérieur s’est dit ouvert au dialogue afin que son texte soit adapté selon les critiques. Cependant, la procédure parlementaire choisie, celle de l’urgence, limitera les fenêtres de tir pour les critiques parlementaires. Une seule navette entre l’Assemblée et le Sénat suffira pour finaliser son adoption. Restera alors à voir si 60 députés ou 60 sénateurs oseront le transmettre au Conseil constitutionnel. Une étape qui avait été jugée inopportune après l’adoption de la sulfureuse loi de programmation militaire. L’examen se poursuivra en tout cas en séance autour du 17 septembre prochain. 

 

L’ensemble des amendements portés par le rapporteur PS Sébastien Pietrasanta a été adopté haut la main. Que ce soit la logique du délit de consultation habituelle de sites terroristes – contre laquelle le PS s’était opposé -, la facilitation des perquisitions dans le cloud, la sanction du vol de données informatiques, l’extension de l’aggravation des peines en matière de piratage informatique – qui ne concerne donc pas seulement le terrorisme, ou encore la traque des communications téléphoniques dans les prisons (voir notre panorama).

Des risques de surblocage reconnus, mais négligés

Mais c’est surtout sur l’article 9 du projet de loi que les attentions se concentraient. Un amendement du même rapporteur a été adopté pour changer l’économie du dispositif du blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme. L’opération avait la saveur d’une opération antidéminage après les nombreuses critiques portées par le Conseil national du numérique, la Commission parlementaire des libertés numériquesle Syndicat de la magistrature ou la Quadrature du Net qui ont tous dénoncé les risques de surblocage et la stratégie d’évitement du juge judiciaire.

 

L’amendement du rapporteur, adopté sans difficulté, essaye ainsi de répondre à ces critiques. Rappelons sa logique : d’une part, l’autorité administrative devra respecter le principe de subsidiarité : elle contactera obligatoirement d’abord l’éditeur, puis l’hébergeur s’ils sont identifiés, avant d’ordonner aux FAI le blocage si dans les 24 heures la demande de retrait reste sans effet. Surtout, le texte met la CNIL dans la boucle du blocage. Un mouvement qui se murmurait depuis de longs mois (voir cet article de Slate).

 

Plutôt qu’un magistrat, c’est une personnalité désignée par la Commission nationale sur les données personnelles qui sera chargée de vérifier la régularité des demandes de retrait et des conditions d’établissement, de mise à jour, de communication et d’utilisation de la liste des sites à bloquer. Si elle estime que l’autorité administrative dépasse les bornes, elle pourra émettre une recommandation qui, si elle n’est pas suivie, pourra être attaquée devant les juridictions administratives.

 

Les députés PS n’ont pas voulu entendre parler d’une intervention préalable du juge judiciaire. C’est pourtant cette intervention qu’ils réclamaient jusque devant le Conseil constitutionnel, lorsque Nicolas Sarkozy injecta le blocage des sites pédopornographiques. Le PS a donc renié sa posture politique.

 

Quant aux effets de bord du blocage, le rapporteur considère qu’il s’agit là finalement d’un petit mal nécessaire. « Il existe évidemment, soyons honnêtes, des possibilités de contournements, des risques limités de surblocage, mais je considère là-dessus que la politique ne peut pas rester passive face à des difficultés d’ordre technique » balayera-t-il. Devant le Conseil constitutionnel, toujours sur la LOPPSI, le PS avait pourtant exposé qu' « il n'existe aucune technique qui permette d'éviter à coup sur ce phénomène de surblocage. A titre d'exemple, c'est l'intégralité du site Wikipedia qui en Angleterre s'est retrouvé bloqué pendant trois jours en décembre 2008 suite à la tentative de blocage de l'une des pages du site qui contenait l'illustration d'une pochette de disque représentant une mineure nue. C'est dire la disproportion entre le but recherché et le résultat atteint. »

« Des dispositions inspirées du programme de Nicolas Sarkozy »

« Cet amendement est un leurre, » réagit la Quadrature du net. « L'ensemble du dispositif de censure échappe toujours à tout contrôle du pouvoir judiciaire, alors même que ce dernier pourrait agir tout aussi efficacement et dans le respect de l'État de droit ».

 

Pour le collectif, qui appelle à une mobilisation contre cette mesure, « l'adoption de ce projet de loi par une majorité qui avait autrefois combattu ces dispositions inspirées du programme de Nicolas Sarkozy illustre l'acceptation générale par la classe politique d'un abandon du pouvoir judiciaire au profit de la police et de la généralisation des mesures d'exception. »

Punir la provocation au terrorisme tenue sur des réseaux fermés

Dans le même temps, la Commission des lois a adopté un autre amendement déposé en bout de course. Il vise cette fois à punir les actes de provocation au terrorisme même lorsqu’ils sont tenus en privé. Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme sera ainsi puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende quand ces formulations seront tenues en ligne, dans un cercle privé, un réseau social, un forum fermé, etc. Quand ces mêmes propos seront émis dans un espace public, le quantum des peines passera à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Enfin, l’apologie publique du terrorisme sera punie plus gravement lorsqu’elle est commise sur Internet, avec là encore 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende. Si on résume cet amendement : 

  • Trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour la provocation non publique ;
  • Cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende pour :

la provocation publique ;

l'apologie (qui demeurera une infraction dont la commission exigera des propos publics) ;

la provocation non publique aggravée par la circonstance de la commission sur Internet ;

  • Sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende pour :          

la provocation publique aggravée par la circonstance de la commission sur Internet ;

l'apologie aggravée par la circonstance de la commission sur Internet.

 

Ces dispositions consacrent aussi un vœu de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) qui recommandait en 2012  (PDF) que « lorsque le législateur veut incriminer spécifiquement certains comportements en rapport plus ou moins lointain avec la communication, et les réprimer fermement, il est préférable qu'il le fasse dans le cadre du code pénal, et non dans celui de la loi de 1881, qui y perd son âme... ». Ainsi lorsqu’ils touchent au terrorisme, les écarts de langage vont sortir du droit de la presse pour entrer dans le droit pénal, nettement plus nerveux notamment au regard des prescriptions.

 

Rappelons enfin qu’un autre article de la loi sur le terrorisme de Bernard Cazeneuve va permettre aux autorités d’agir sous pseudonyme sur les réseaux afin de constater ces infractions tenues mêmes dans un cercle privé sur Internet.

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