Pourquoi une blogueuse a dû verser 2 500 € au restaurant qu’elle critiquait

Repas salé
Droit 5 min
Pourquoi une blogueuse a dû verser 2 500 € au restaurant qu’elle critiquait
Crédits : Lars Koch/iStock/Thinkstock

Le mois dernier, une blogueuse française a été condamnée dans le cadre d’une procédure d’urgence à payer 2 500 euros à un restaurant qu’elle avait critiqué dans un billet paru près de dix mois plus tôt. Next INpact revient aujourd’hui sur cette affaire à l’appui de l’ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Bordeaux. 

Justice
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Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette affaire aura fait grand bruit. Évoquée dans un premier temps par Arrêt sur images sur signalement du blogueur Maître Eolas, avant d’être reprise par la presse régionale et nationale, elle fut même traitée par la BBC ainsi qu’ArsTechnica.

 

En cause dans cette histoire, un simple billet de blog publié en août 2013 (lequel est d’ailleurs toujours accessible via Internet Archive). Son titre était direct et concis : « L’endroit à éviter au Cap-Ferret : Il Giardino ». Vous l’aurez deviné, la tenancière du blog « Cultur’elle », qui se présente comme une trentenaire agrégée de lettres modernes et docteure en littérature comparée, n’a guère apprécié son repas dans ce restaurant... La qualité du service était notamment mise en cause par l’internaute, qui déplorait alors le temps passé à attendre et l’attitude de la patronne.

 

Sauf que la responsable du restaurant en question, elle non plus, n’a guère apprécié le texte mijoté par la blogueuse ! Résultat, cette dernière s’est retrouvée convoquée devant le tribunal de grande instance de Bordeaux le 2 juin dernier, lequel l’a condamnée pour dénigrement quelques jours plus tard dans le cadre d’une procédure d’urgence.

Un titre clair et bien référencé sur Google 

En fait, ce n’est pas le contenu du billet lui-même qui posait problème aux yeux du juge des référés en charge du dossier. Celui-ci a en effet considéré que « bien que peu flatteur, cet article en ce qu’il relate dans un style particulier à l’auteur, simple particulier, une expérience qui lui est personnelle relève de la liberté d’expression ».

 

Toute l’attention du magistrat s’est donc focalisée sur le titre du billet. L’ordonnance que s’est procurée Next INpact (PDF) retient en effet que ce titre « constitue un dénigrement manifeste destiné à faire fuir des clients potentiels avant même toute lecture d’un article pouvant être qualifié de long pour ce type de sujet ». Mais encore ? Selon ce jugement, le titre litigieux « pose de manière péremptoire une conclusion univoque sur un incident [et] a pour objet de dicter une conduite d’évitement aux nombreux followers et à tout internaute consultant l’emplacement au nom du restaurant ».

 

Au-delà du sens et de la portée du titre, c’est sa visibilité sur Internet qui a été prise en compte par le magistrat. D’après l’ordonnance, ce titre s’avérait « particulièrement apparent non seulement pour les followers en raison d’une présentation attractive mais aussi pour l’internaute sur Google en raison d’un emplacement en 4ème position accompagné d’une photographie de l’auteur ». En ce sens, si Madame Michu tapait le nom du « fameux » restaurant (façon de parler) dans le célèbre moteur de recherche, il était quasiment inévitable qu’elle tombe sur ce titre extrêmement explicite.

La blogueuse avait l'intention de nuire selon le juge

 Le juge a ainsi considéré que cela portait « une atteinte grave à l’image et à la réputation de [cet] établissement », d’autant que plusieurs commentaires publiés sur le blog Cultur’elle laissaient entendre que leurs auteurs ne mettraient pas les pieds dans le restaurant.

 

De plus, le magistrat a estimé que la blogueuse avait une réelle intention de nuire. La preuve ? Elle avait indiqué sur Internet, un peu avant de diffuser son billet, qu’elle était « très mécontente d’un restau ». En ajoutant : « Du coup, je vais pouvoir faire un article très très méchant. Ça tombe bien, j’adore ça et je sais que vous aussi ».

Condamnée à verser 2 500 euros à la victime

Verdict : la blogueuse a été condamnée à verser 1 500 euros de dommages et intérêts au restaurant, en raison du préjudice moral et économique subi. Pourtant, le juge observe que si l’atteinte est « certaine » et « de nature à influer sur l’activité du restaurant », il n’y a eu selon ses propres constatations aucune preuve de rapportée quant à « l’ampleur effective de ces conséquences dommageables ». Quoi qu’il en soit, la coupable devra d’autre part verser 1 000 euros à la victime, au titre de ses frais de justice.

 

La blogueuse a également été enjointe à raboter son titre, afin que la mention « un endroit à éviter » n’apparaisse plus. Et ce, « tant dans son blog Culur’elle que sur l’emplacement Google (sic) »... Résultat, l’intéressée a tout simplement supprimé le billet dans sa globalité, lequel n'est maintenant plus référencé. Néanmoins, et comme on pouvait s’y attendre, une recherche correspondant à ce restaurant renvoie désormais vers les nombreux articles de presse évoquant cette affaire... Cela a provoqué en ce sens un bel effet Streisand, l’établissement ayant par ailleurs été ensuite sévèrement critiqué sur Google Plus, comme l’a remarqué Arrêt sur images encore une fois.

 

Sur le terrain du droit, ce jugement a également suscité de nombreuses réactions. Le blogueur Maître Eolas a notamment pointé le fait que l'internaute mise en cause s’était passée des services d’un avocat pour assurer sa défense. « C'est une bêtise à 2 500 euros. Il y a des arguments à faire valoir et n'importe quel avocat aurait trouvé l'arrêt de la Cour de cassation qui contredit de façon flagrante ce que dit cette ordonnance (à l'exemple de l'article 11-86.311). Elle a été naïve de croire qu'on peut s'en sortir en justice seulement avec sa bonne foi et son bon sens. En face, elle avait une avocate qui a su porter le débat sur un terrain qui lui était favorable » a-t-il ainsi fait valoir auprès de L’Express.

 

L'auteur du blog nous a confirmé qu'elle n'avait pas fait appel de cette ordonnance.

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