Et si les robots avaient des droits ? Remis en avant cette semaine par l'avocat Alain Bensoussan, le sujet a maintes fois été traité dans diverses fictions, mais aussi par des spécialistes. Kate Darling, chercheuse au MIT , aborde ainsi la question depuis quelques années, tout comme Davy Levy, grand joueur d'échec et auteur de « Love and Sex with Robots ». Une folie ?
Les humains, les animaux, et bientôt les robots
Les droits des robots ou des androïdes ont été particulièrement traités le siècle dernier par des auteurs tels qu'Isaac Asimov ou encore Philip K. Dick. Plus récemment, il y a une dizaine d'années, le mangaka Naoki Urasawa, auteur de Monster et 20th Century Boys, a relancé le sujet au grand public en dévoilant Pluto, une œuvre inspirée d'Astro, le petit robot, du maitre Osamu Tezuka. Dans Pluto, les robots vivent avec les Hommes (pas toujours en harmonie), ont des droits, travaillent comme tout le monde et ressemblent à s'y méprendre à des êtres humains.
Mais il ne s'agit là que de fictions. Donner des droits à des robots, même humanoïdes, parait inconcevable pour la plupart des gens. Aujourd'hui, les machines nous assistent de plus en plus. Bientôt, notre véhicule nous conduira où nous le voudrons, pendant qu'un robot fera notre ménage et qu'un autre accompagnera nos enfants à l'école et encore un autre fera la conversation à nos parents ou grands-parents. Dépassant le cadre de la simple utilité, certains robots auront ainsi des « relations » avec l'être humain, qu'elles soient sociales voire sexuelles.
Préparez la robe de mariée
En 2007, le Britannique David Levy a ainsi proposé une thèse pour son doctorat à l'Université de Maastricht et traitant des relations intimes avec des partenaires artificiels (résumé en « Love and Sex with Robots »). Le joueur d'échec estime ainsi que dans un futur proche (d'ici 2050), les relations homme-robot arriveront à un tel niveau que des êtres humains tomberont amoureux de robots, au point de pourquoi pas se marier. Une situation possible du fait de la ressemblance importante qui existera entre les robots et les humains, que ce soit physiquement mais aussi mentalement, que ce soit au niveau de la personnalité ou encore des expressions et des « émotions », même si ces dernières sont factices.
La logique utilisée par David Levy se fonde sur l'évolution même des Hommes. Auparavant centrés sur eux-mêmes, ils ont développé au fur et à mesure des liens avec des animaux de compagnie, et certains ont déjà des « relations » fortes avec des êtres virtuels, à l'instar de Tomohiro Shibata. Internet a qui plus est montré qu'il est possible de tomber amoureux sans même rencontrer la personne, uniquement via des échanges sous format texte. Alors pourquoi pas des robots ?
Quand on torture des robots
En 2012, Kate Darling a pour sa part publié une étude sur « l'extension des droits légaux aux robots sociaux ». Son raisonnement est le suivant : les Humains, du fait de leurs relations de plus en plus poussées avec les robots, comment à les anthropomorphiser sur le plan social, ceci à l'instar des animaux domestiques. Le projet technologique aidant, les robots sociaux se perfectionnent et se multiplient, au point de « générer des attaches psychologiques fortes que nous expérimentons avec les objets du quotidien. Cette différence dans la façon dont nous percevons les robots sociaux pourrait avoir des implications juridiques. »
Estimant que les droits aux animaux ouvrent une porte aux droits aux « non-humains », Kate Darling explique que sans atteindre un niveau technologique digne de Blade Runner, les technologies actuelles (même si limitées) poussent déjà à se poser la question des droits aux robots. Notre aptitude à protéger ce à quoi nous tenons devrait même nous pousser à demander des droits pour les robots, même s'ils ne ressentent pas la douleur, contrairement aux animaux.
Dans son étude, Darling prend l'exemple concret d'un forum consacré aux chiens de Sony Aibo et où les membres dudit forum étaient consternés après avoir appris qu'une personne avait jeté son Aibo à la poubelle. Dans le même esprit, de nombreuses personnes ont été choquées de voir d'autres gens « torturer » Pleo... le robot-dinosaure de la société Ugobe. Au point que certains commentateurs des vidéos ont accusé les auteurs des « tortures » de faire preuve de cruauté.
Bien entendu, pour le moment, à l'instar des animaux, les discussions actuelles sur les droits des robots n'impliquent pas un mimétisme avec les droits des humains. Ils seront logiquement adaptés aux robots, comme c'est le cas pour les animaux. Car si l'Homme a des droits mais aussi des devoirs, la logique est différente pour les non-humains. Interrogée par Le Monde en février 2013, Kate Darling a d'ailleurs tenu à préciser ces différentes :
« Je pense que les projections que nous faisons sur les robots sociaux et les liens que nous créons avec eux pourraient nous amener à vouloir leur donner une forme de protection juridique. Je ne parle pas d'une sorte de droit à la vie, qu'on n'ait pas le droit de les éteindre, etc. Je parle plutôt de quelque chose comme les lois qui protègent les animaux. À eux non plus, on n'accorde pas le droit à la vie, mais on a édicté des lois pour les protéger contre la maltraitance. À mon avis, pas tant à cause de la douleur qu'ils peuvent ressentir qu'en raison de la réaction que leur douleur suscite chez nous. »
Des droits et même des devoirs pour les robots ?
Sur le même sujet, l'avocat Alain Bensoussan va plus loin. Créateur d'un département consacré aux droits des robots, l'avocat a même rédigé un projet de charte de droits et devoirs des robots. Ce dernier point est important dès lors que l'avocat estime que l'on peut s'attaquer directement au robot, et non à son concepteur. « Imaginez un humanoïde, dans la rue, qui est en autonomie, il va bien falloir comme pour une voiture l'identifier. Donc pour moi ce robot il a un nom » a-t-il ainsi expliqué au micro de France Info la semaine dernière.
« Il faut créer un droit des robots » (Avocat A... par FranceInfo
« Comme aujourd'hui, la personnalité robot, c'est comme la personnalité morale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, vous pouvez vous en prendre à une société, et même une société a bien honneur, considération, or vous n'avez jamais marché sur une société, vous n'avez jamais écrasé la main d'une société, et ça ne vous dérange pas d'avoir des droits et obligations, parce qu'elle est dotée de la personne morale... Derrière, vous avez des individus. Avec les robots, c'est la même chose. » L'avocat précise toutefois qu'il y aura des responsabilités en cascades, c'est-à-dire avec le robot et ses concepteurs après coup. Il propose toutefois des droits sur le respect et à la dignité du robot, du fait des informations dont il sera propriétaire sur des humains, et des relations qu'il créera au fur et à mesure.
Concernant les devoirs du robot, Bensoussan souhaite donc aller plus loin que les trois lois de la robotique d'Asimov qui impliquent notamment qu'il ne peut blesser un humain. Il estime ainsi qu'ils devront avoir une responsabilité propre, comme les entreprises, et que des sanctions pourront être imposées. Le fait que certains robots pourront « apprendre » pourrait ainsi entrainer une nouvelle logique où l'erreur ne sera finalement plus humaine.
Reste que toutes ces spécialistes oublient un point essentiel : la définition du robot. Quand une machine n'est-elle qu'une machine et quand devient-elle un robot ? Les droits seront-ils d'ailleurs limités aux robots ou d'autres objets du quotidien pourraient-ils être concernés ? Qui plus est, fournir des droits aux robots implique un autre risque, celui de raboter la responsabilité de leur concepteur, ce qui n'est pas sans danger. Il faudra ainsi répondre à bien des questions avant de réellement légiférer sur le sujet. D'ailleurs est-ce nécessaire ? Le droit actuel, celui de la vie privée, de la protection des données personnelles, de la responsabilité contractuelle ou délictuelle, n'est-il déjà pas suffisant pour couvrir les risques générés par les robots ?
Notez enfin que la Corée du Sud travaille depuis plusieurs années sur une idée de charte éthique des robots. Il y a ainsi de fortes chances que la Corée et son voisin nippon soient les pionniers en la matière.