Le projet de loi sur le terrorisme continue de susciter des vagues. Après le Conseil national du numérique, le syndicat de la magistrature dénonce dans une longue note cette future législation d’exception.
Que ce soit le Conseil national du numérique ou la Commission des libertés numériques à l’Assemblée nationale, beaucoup se sont pour l’instant concentrés sur un seul article du projet de loi de Bernard Cazeneuve : l’article 9 qui instaure en effet un blocage administratif contre les sites faisant l’apologie du terrorisme.
Cette focalisation est une erreur puisque dans ses grandes lignes, ce texte va nettement plus loin. Il compte déployer tout un arsenal pour lutter contre le terrorisme.
Il n’y a pas que le blocage administratif des sites
Par exemple sera qualifié pénalement de « terrorisme » le fait de détenir, transporter ou diffuser en ligne le plan de fabrication d’une bombe. De même, le projet institue un nouveau délit, celui de la préparation individuelle d’actes de terrorisme qui permettra de punir « les loups solitaires », du moins « le fait de rechercher [sur un moteur, par exemple, NDLR], de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ».
Une simple recherche sur Google ne suffira pas puisqu’il faudra démontrer en plus l’intention de troubler gravement l'ordre public « par l'intimidation ou la terreur ». Le projet veut tout autant faciliter les perquisitions dans les nuages ou la mise au clair des données, tout en musclant la répression contre le piratage informatique et permettre la captation à distance du son et des images…
Le temps politique de l’urgence et de l’exception permanente
Dans une longue note, le Syndicat de la Magistrature (SM) s’est ému de ce nouveau wagon accroché au train des législations d’exception : « c’est le propre de la politique antiterroriste, en France et ailleurs, que de s’inscrire dans un temps politique de l’urgence et de l’exception permanente. Derrière l’apparence d’un respect de la légalité et l’adoption d’un arsenal souvent validé par le Conseil constitutionnel, s’effectue en réalité une érosion des garanties de la procédure pénale instaurant dans notre droit comme dans les pratiques policières et judiciaires des poches « d’exceptionnalisme », sans cesse étoffées depuis 25 ans ».
Une position également défendue par la Cour européenne des droits de l’Homme qui répète qu’au nom de la lutte contre le terrorisme, les États ne peuvent voter tout et n’importe quoi, quand bien même ils jugeraient ces mesures « appropriées. »
Pour le Syndicat de la Magistrature, le piège de ces législations d’exception – déjà une quinzaine en France – est d’être aiguillonné dans un débat politique qui « force le consensus ». Cependant, il n’est jamais bon que de tels textes puissent être sécrétés dans « l’urgence, l’émotion et la peur », d’autant que sont en jeu d’autres droits et libertés fondamentales.

Assimiler des revendications sociales au terrorisme
Il pointe tout autant du doigt l’article 4 du projet de loi qui va basculer du droit de la presse au Code pénal, les délits de provocation aux actes de terrorisme et leur apologie. Un choix qui n’est pas neutre, répond le SM : chapeautées par le droit de la presse, ces dispositions bénéficient « d’un régime protecteur destiné à protéger les citoyens contre une ingérence abusive de l’État ou de tiers dans la liberté d’expression, cette liberté fondamentale dont l’abus est d’appréciation complexe. »
Par ce transfert dans le code pénal, les personnes soupçonnées pourront dire adieu aux garanties procédurales particulières dont elles pouvaient jusqu’alors bénéficier : les autorités pourront en effet mener à bien des saisies, profiter de la comparution immédiate ou encore de prescription allongée. Il existe pourtant un risque : celui de « l’assimilation à des actes de terrorisme de certains écrits revendicatifs de contestation sociale de l’ordre établi. »
Une législation d’anticipation, un droit de la dangerosité
Autre chose : plusieurs articles du projet de loi du gouvernement veulent punir une série d’actes au plus tôt. Pour le SM, « vouloir sanctionner ces faits en eux-mêmes procède de cette logique d’intervention précoce - sinon hâtive - alors même que la réalité de l’intention terroriste et de la menace sont très complexes à établir. À vouloir intervenir trop tôt, le droit pénal se meut en un droit de la dangerosité, incompatible avec notre État de droit ». Dans cette logique, l’article 5 disions-nous permettra de punir « le fait de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui. »
Une législation d’anticipation puisque « derrière le vocable « rechercher » pourront se nicher de simples recherches sur internet ou consultation de sites. Encore une fois, on veut saisir des faits avant même le commencement d’exécution juridiquement requis pour établir la tentative d’une infraction. Au risque de pénaliser ce qui n’est encore que des intentions - d’ailleurs bien difficiles à caractériser - et d’incarcérer « préventivement » des personnes que rien ne permettra juridiquement de condamner, tant les éléments seront faibles ».
Un cheval de Troie pour des pouvoirs accrus de l’administration
Sur le blocage administratif, le SM estime que « l’antiterrorisme [est le] cheval de Troie de l’accroissement dangereux des pouvoirs « préventifs » de l’administration ». Le ministère de l’Intérieur « se voit ainsi confier le rôle de dire ce qu’il est licite de penser et de dire ». Certes un magistrat sera là pour épauler son travail dans l’établissement et la mise à jour des sites à bloquer, mais cette intervention n’est « qu’un leurre » puisque « ce magistrat n’est pas décisionnaire » (on pourra à ce titre relire les positions du ministère de l'Intérieur).
De même, « l’étude d’impact justifie ce choix d’une compétence par le délai d’intervention d’un juge judiciaire. Alors même qu’il est libre de fixer un délai court s’imposant au juge, le législateur est mal fondé à invoquer cet argument pour privilégier une procédure insuffisamment respectueuse des droits. »
Le Syndicat de la magistrature rappelle au contraire que le blocage possède à la fois des effets de bord - des contenus licites vont se retrouver touchés – et des trous puisque les stratégies de contournement sont simples.
Autre chose, cette législation d’exception est appelée à « contaminer » le droit commun. En témoigne notamment l’article 12 du projet de loi qui va plus sévèrement punir les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD). En effet, contre eux pourra être appliqué le régime spécifique de la criminalité organisée.
« Cette disposition ne cible en réalité pas les actes à visées terroristes mais conduira sans nul doute à la surpénalisation des nouvelles formes de contestation de l’ordre social. Il est ainsi bon de rappeler qu’en France, l’une des rares « attaques » informatiques en 2012 a consisté dans le blocage par quelques personnes des sites internet d’EDF dans le cadre d’une campagne de protestation contre l’énergie nucléaire, sous l’égide du mouvement Anonymous. »