Pour la diffusion sur Facebook d’un photomontage au travers duquel la ministre de la Justice était comparée à un singe, une ex-adhérente au Front National vient d’écoper de neuf mois de prison ferme. La coupable devra verser, conjointement avec le parti de Marine Le Pen, 50 000 euros de dommages et intérêts au mouvement politique qui avait déposé plainte contre l’intéressée - avant de se porter partie civile. Le tribunal de grande instance de Cayenne (Guyane) a également condamné le FN à une amende de 30 000 euros.
L’affaire avait fait grand bruit à l’automne dernier, notamment suite à la diffusion d’un reportage du magazine « Envoyé Spécial ». On y voyait Anne-Sophie Leclère, militante du Front National en piste pour les élections municipales, assumer la diffusion sur son compte Facebook d’un photomontage aux relents plus que douteux. D’un côté, figurait un bébé singe. De l’autre, Christiane Taubira, la ministre de la Justice. En dessous de chaque photo, se trouvait une légende indiquant « À 18 mois » puis « Maintenant ».
Christiane Taubira comparée à un singe via un photomontage diffusé sur Facebook
Le raccourci avait suscité l’indignation de nombreuses associations de lutte contre le racisme. En Guyane, département d’où est originaire la Garde des Sceaux, le parti politique « Walwari » était d’ailleurs passé à l’offensive en déposant plainte contre Anne-Sophie Leclère, mais également contre le Front National. C’est ainsi que l’affaire s’est retrouvée devant le tribunal de grande instance de Cayenne.
Hier, la juridiction a livré son verdict. Reconnue coupable d’injures raciales, Anne-Sophie Leclère a écopé de neuf mois de prison ferme et de cinq ans d’inéligibilité. Elle devra verser solidairement avec le Front National 50 000 euros de dommages et intérêts à Walwari. Quant au parti de Marine Le Pen, il a été condamné à une peine d’amende de 30 000 euros, comme le rapporte Guyane Première.
Le tribunal est allé plus loin que les réquisitions, condamnant également le FN
Lors de l’audience, le procureur avait pourtant requis des peines moins lourdes : quatre mois de prison ferme pour Anne-Sophie Leclère, une inéligibilité de cinq ans et 5 000 euros d’amende. Tout en regrettant l’absence des prévenus - et de leurs éventuels avocats, le Parquet avait laissé entendre que la culpabilité du Front National n’était pas évidente à reconnaître : le photomontage litigieux « était sur son site personnel [mais] il n'est pas démontré qu'elle en avait informé son parti » avait-il ainsi fait valoir le 8 juillet dernier, selon des propos rapportés par France Guyane.
Entre-temps, la militante avait par ailleurs été exclue du Front National, et ne s’était finalement pas présentée pour les municipales. Elle avait d’ailleurs tenté de faire évoluer sa stratégie de défense : « Cette photo c'était de l'humour. L'image a été postée sur ma page Facebook et je l'avais supprimée quelques jours après d'ailleurs, ce n'est pas moi l'auteur » avait-elle déclaré selon FranceTV Info.
Le FN, qui ne s'était pas défendu en première instance, promet de faire appel
Si ce verdict est perçu comme « exemplaire », mais « pas sévère » selon l’avocat de Walwari, le Front National a de son côté annoncé son intention de faire appel de cette décision. Dans un communiqué, le parti explique qu’il « fera valoir que le droit français a expressément exclu la responsabilité pénale d’une personne morale pour les délits relatifs à la liberté d’expression (...). Le Front national fera aussi valoir qu’il n’a pas injurié Mme Taubira, qu’il n’a donné aucun moyen à Mme Leclère de le faire, qu’il a d’ailleurs exclu définitivement cette Mme Leclère ».
Cette décision permet de rappeler qu’Internet et les réseaux sociaux ne sont forcément pas la « zone de non droit » que certains se plaisent à dénoncer. On se rappelle d’ailleurs que le frontiste Patrick Binder, conseiller municipal de Mulhouse et conseiller régional d’Alsace, a écopé le mois dernier d’une amende de 3 000 euros pour avoir diffamé, via des commentaires publiés sur Facebook, une élue locale. En octobre 2013, c’est Julien Sanchez, un autre élu FN, qui a été condamné à 4 000 euros d’amende - dont 1 000 avec sursis - pour des propos racistes non modérés sur sa page Facebook. Les deux condamnés ont depuis indiqué qu’ils souhaitaient se pourvoir en cassation.