La NSA et le FBI ont espionné directement des citoyens américains

Entre procès d’intention, stéréotype et délit de faciès
Internet 6 min
La NSA et le FBI ont espionné directement des citoyens américains
Crédits : Tony Webster (licence CC BY 2.0)

De nouveaux documents d’Edward Snowden montrent comment la NSA a espionné directement certains citoyens américains à cause de leur religion. Des révélations qui font suite aux informations déjà publiées cette semaine, selon lesquelles l’agence américaine utilise des règles très élastiques pour déterminer qui est étranger et qui ne l’est pas.

edward snowden

Le citoyen américain n'est plus aussi protégé que prévu 

Lundi, nous avons pu voir que la NSA avait une définition à géométrie variable du caractère étranger d’un individu. Les analystes ont toute liberté en effet de définir qu’un internaute est un citoyen d’un autre État sur la base de critères particuliers. Par exemple, si cet internaute rédige des emails en français, alors il n’est pas américain. Entre alors en piste la loi FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) qui permet de récolter les données des étrangers si elles sont stockées sur des serveurs américains.

 

Si cette loi existe, c’est pour bien différencier l’attitude des agences de sécurité face aux différents internautes. Les citoyens américains sont protégés des intrusions (en théorie) par plusieurs textes, dont le Privacy Act. Comme nous l’avons indiqué lundi également, les américains peuvent quand même se retrouver pris dans les filets géants de Prism et Upstream s’ils sont en contacts avec des cibles étrangères. Et les mesures de minimisation, qui doivent normalement masquer leurs identités, sont largement perfectibles.

Espionnés pendant plusieurs années parce qu'ils sont musulmans 

De nouveaux documents d’Edward Snowden, révélés par les journalistes Glenn Greenwald (le premier à avoir réalisé, avec sa collègue Laura Poitras, une interview du lanceur d’alertes) et Murtaza Hussain, enfoncent le clou. On y trouve la preuve que la NSA et le FBI ont espionné directement des citoyens amércains, a priori sur la seule base de leur pratique de la religion musulmane. Cinq noms en particulier sont révélés :

  • Faisal Gill, qui faisait notamment partie du Department of Homeland Security dans l’administration George W. Bush
  • Asim Ghafoor, un avocat spécialisé dans les procès liés au terrorisme
  • Hooshang Amirahmadi, Américain et Iranien, professeur de relations internationales à l’université Rutgers
  • Agha Saeed, ancien professeur de sciences politiques à l’université de Californie, connu pour militer pour les droits des musulmans et palestiniens
  • Nihad Awad, directeur du Council on American-Islamic Relations, la plus grande association de défense civile des musulmans aux États-Unis

Dans les cinq cas, on remarque qu’il s’agit de rôles proéminents et très exposés au public.

 

Selon Greenwald, ces noms font partie d’une liste beaucoup plus importante contenant 7 485 adresses email, dont 202 ont été identifiées comme appartenant à des citoyens américains. L’écrasante majorité (5 501) ne renseigne cependant pas le pays d’appartenance, la mention « inconnue » étant inscrite dans la case « Nationalité ».

Il a fallu trouver des raisons 

Le document contenant ces adresses emails et ces noms est intitulé « FISA recap » et fait donc directement référence à la loi du même nom. Il y a donc un paradoxe : la loi FISA est invoquée, mais elle ne concerne que les étrangers, alors même que 202 citoyens américains sont présents. En temps normal, placer une surveillance sur un tel citoyen demande un mandat délivré par un juge, qui doit être renouvelé tous les 90 jours. Mais comme l’indique Glenn Greenwald, les documents suggèrent que ce renouvellement n’a pas été fait, alors que la surveillance semble avoir été active entre 2002 et 2008.

 

nsa greenwald
Crédits : The Intercept

 

La NSA, qui avait déjà été interrogée sur ce point l’année dernière, avait cependant précisé que si un mandat était bien requis, des « circonstances exceptionnelles » permettaient de court-circuiter la chaine et de procéder à une surveillance directe. Doit-on en déduire que de telles circonstances étaient présentes pour les 202 noms de la liste ? Aucune information ne va dans ce sens et la situation reste donc floue. En outre, puisqu'il s'agit d'un document ayant trait à la loi FISA, des raisons ont forcément dû être invoquées par les agences pour que cette surveillance soit mise en place initialement.

Entre fatalisme et incompréhension 

La question est encore plus vraie pour les cinq noms cités plus haut. Asim Ghafoor, l’avocat spécialisé dans les procès liés au terrorisme, a pour sa part son explication : « Je pense qu’ils m’ont surveillé parce que mon nom est Asim Abdur Rahman Ghafoor, que mes parents viennent de l’Inde, que j’ai voyagé en Arabie Saoudite quand j’étais jeune et que je fais le pèlerinage ». Comprendre : il y aurait des raisons théoriques de suspecter une connexion avec le monde du terrorisme, notamment via son travail.

 

Faisal Gill, de son côté, nage plutôt dans l’incompréhension : « Je ne comprends vraiment pas pourquoi. J’ai tout fait dans ma vie pour être patriote. J’ai servi dans la Navy, j’ai servi dans le gouvernement, j’ai été actif dans ma communauté – j’ai fait tout ce qu’un bon citoyen, à mon sens, devrait faire » explique ainsi l’ancien consultant en sécurité, dont les comptes Yahoo et AOL ont été espionnés par la NSA et FBI.

 

Le problème de cette liste est qu’elle met en avant des citoyens musulmans comme autant de portes d’entrée pour les terroristes. Ils pourraient être mêlés eux-mêmes à des projets, ou être en contact avec des membres actifs de certains groupes. Entre procès d’intention et délit de faciès, Greenwald aborde la situation en traçant un parallèle avec « l’hystérie de l’ère McCarthy », quand la chasse aux communistes s’était faite chasse aux sorcières.

La citoyenneté s'arrêterait-elle là où commence la religion ?

Les journalistes vont plus loin et indique que de nombreux documents montrent une véritable volonté de cibler les américains musulmans. Il en veut pour preuve un mémo interne de la NSA visant à faire apprendre aux analystes comment réclamer des droits à la FISC (Foreign Intelligence Surveillance Court). Le nom fictif placé pour exemple dans la demande de surveillance est selon Greenwald et Hussain particulièrement symptomatique : « Mohammed Raghead ».

 

Aussi ténu que puisse être le lien entre l’appartenance à la confession musulmane et le monde du terrorisme, la NSA et le FBI sont décidés à l’exploiter. Et à ce titre, la surveillance directe de Nihad Awad, directeur du Council on American-Islamic Relations, est plus que représentative. Comme le rappelle Greenwald, Awad est un travailleur actif des relations les Américains et le monde de l’Islam en général. Il faisait partie à ce titre des proches du vice-président Al Gore et a travaillé avec les présidents Clinton et Bush. Il avait également participé à l’une des importantes conférences de presse après les attentats du 11 septembre. De fait, Glenn Greenwald pose la question : une telle surveillance aurait-elle été mise en place sur le président d’une autre association de défense civile, telle que l’ACLU (American Civil Liberties Union).

 

Interrogé, le Département de la Justice n’a pas souhaité répondre aux questions. La NSA, de son côté, n’a réagi qu’au mémo en indiquant qu’elle n’utilisait jamais de langage injurieux et propre à renchérir « sur les stéréotypes raciaux ou ethniques ».

 

Quoi qu’il en soit, on peut observer depuis peu une accélération dans les révélations liées aux documents de Snowden. Les informations se font plus précises et surtout plus axées sur les États-Unis eux-mêmes, alors que la défense du « peuple américain » est le principal outil de communication des responsables du renseignement. C’est la première fois que des documents mentionnent directement des noms de personnes surveillées, et il est probable que ces informations provoquent davantage de vagues outre-Atlantique que les problématiques liées à l’espionnage du reste de la planète.

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