Avant-hier, l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) a dévoilé une étude s’intéressant aux pratiques de piratage de films et de séries sur Internet : peer-to-peer, streaming, téléchargement direct. Sauf que la lecture de ses chiffres a pour le moins prêté à des interprétations différentes notamment par la Hadopi... Next INpact a ainsi souhaité interroger Frédéric Delacroix, le délégué général de l’ALPA.

La Hadopi a vu dans votre étude une « réelle baisse » du piratage, tandis que le ministère de la Culture a parlé de son côté de pratiques illicites en « très nette hausse ». Qui dit vrai ?
Objectivement, la mesure que l'on a réalisée avec Médiamétrie montre une augmentation de l'audience des sites dédiés à la contrefaçon audiovisuelle. J'ai bien lu vos articles. Même si la base d'internautes augmente, le pourcentage reste peut-être stable, mais il n'empêche que ça augmente puisqu'entre 2009 et 2013, il y a à peu près deux millions de personnes de plus qui fréquentent les sites dédiés à la contrefaçon audiovisuelle.
Mais le nombre de foyers équipés d'Internet a augmenté de 30 % dans le même temps...
Et alors ? Ca n'empêche que le nombre de gens se rendant sur des sites dédiés à la contrefaçon augmente aussi, donc on ne peut pas dire que ça baisse !
Ne peut-on pas alors parler d’une augmentation relative ?
Si vous trouvez que deux millions de personnes c'est quelque chose de relatif, je vous laisse vos propos...
Vous n'avez pas répondu à ma question initiale : qui dit vrai ? Le ministère de la Culture ?
La Hadopi dit vrai si l'on regarde effectivement la courbe du peer-to-peer, où l'on a une relative stabilité.
N’est-il pas contradictoire de s’alarmer du fait que le piratage est « important », alors que vos chiffres montrent que sur le long terme, la tendance est à la baisse sur le streaming, le P2P et le téléchargement direct ?
Ce n'est pas du tout contradictoire ! Pour le streaming, la mesure est faussée parce que nous n'avons pas tenu compte de certaines grosses plateformes, que l’on ne peut pas qualifier de dédiées à la contrefaçon audiovisuelle mais qui, malheureusement, hébergent des contenus illégaux et qui font l'objet d'une fréquentation massive [en l’occurrence, YouTube et Dailymotion ont été exclus de l’étude, ndlr]. Donc effectivement, en matière de streaming, je dirais que les chiffres ne reflètent pas forcément la réalité.
À ce propos, que répondez-vous à la Hadopi, qui a critiqué hier matin les « zones d'ombre méthodologiques » de votre étude et les « conclusions hasardeuses » qui en découlaient ?
Mais quelles zones d'ombres ? La méthodologie est faite par Médiamétrie, qui dispose d'outils statistiques qui ne sont à mon avis pas contestables.
Savez-vous quelle est l'empreinte économique des pratiques illicites que vous avez auscultées ?
Non. C'est quand même assez difficile de le mesurer globalement. Mais on va essayer de s'y atteler. Avec Médiamétrie, on commence à avoir une approche de la volumétrie, notamment de contenus qui sont visionnés et/ou téléchargés, que l'on va essayer de mesurer dans le temps. À partir de là, on essayera d'estimer l'impact que cela peut avoir sur les industries culturelles du cinéma et de l'audiovisuel, en termes économiques.
Pour l'instant, vous n'avez donc aucune idée ?
C'est très difficile. Je crois que c'est la première fois qu’on arrive à mesurer de façon à peu près assez fine, notamment sur le streaming, la consommation illégale. On va poursuivre de façon à essayer de quantifier la chose.
Que préconisez-vous pour remédier aux effets prétendument néfastes de ces pratiques illicites ?
Il y a deux choses : la prévention et évidemment la pédagogie vis-à-vis des internautes, mais également la mobilisation des services de l'État - quels qu'ils soient - contre les sites de diffusion massive de contenus totalement illégaux.
Plus concrètement, est-ce qu'il y a des choses en particulier qui vous tiennent à coeur ?
Je pense qu'il est important d'essayer de poursuivre, lorsque cela est possible, les auteurs de ces diffusions massives de contrefaçons. Et également de trouver des solutions alternatives visant à réduire cette offre illicite massive, par exemple ce qui a été donné dans le cadre de l'affaire Allostreaming.
Pourquoi avoir diffusé publiquement cette étude, à ce moment-là ?
Parce que nous avons eu les chiffres très récemment, et il nous a paru opportun de le faire maintenant. De toute façon, nous n'aurions pas pu les garder confidentiels très longtemps.
N’y avait-il pas une volonté d’influencer les pouvoirs publics ?
Pas à mon niveau en tout cas.
Pourquoi ne pas avoir fait appel à la Hadopi pour mener ce type d’étude ?
L'Hadopi est une autorité indépendante. Vous le dites assez bien dans vos articles, l'ALPA représente le secteur privé. C'est une association de droit privé qui a ses propres outils de mesure, en la personne de Médiamétrie.
Merci Frédéric Delacroix.