Que les chiffres soient bons ou non, la publication de l’étude de l’ALPA sur le piratage en ligne, reprise par le ministère de la Culture nous ramène illico sur ce qui s’était produit avant le projet de loi Hadopi. Un petit retour en arrière au temps de Christine Albanel, avant le grand bond en avant d’Aurélie Filippetti.
Début 2008, nous révélions que la Commission Informatique et liberté avait rendu un avis critique à l’égard du projet de loi Création sur Internet, celui qui allait donner naissance à la Hadopi, après bien des péripéties notamment une censure devant le Conseil constitutionnel.
Quelques mois après, la Tribune sortait l’avis secret de la CNIL. Celle-ci n’avait pas été spécialement tendre : « Les seuls motifs invoqués par le gouvernement afin de justifier la création du mécanisme confié à l'HADOPI résultent de la constatation d'une baisse du chiffre d'affaires des industries culturelles. À cet égard [la CNIL] déplore que le projet de loi ne soit pas accompagné d'une étude qui démontre clairement que les échanges de fichiers via les réseaux « pair-à-pair » sont le facteur déterminant d'une baisse des ventes dans un secteur qui, par ailleurs, est en pleine mutation du fait notamment, du développement de nouveaux modes de distribution des œuvres de l'esprit au format numérique ».
En somme, Christine Albanel, alors ministre de la Culture, allait présenter au vote un projet de loi juridiquement hasardeux, sans s’appuyer sur des chiffres solides qui prétendent qu’il y a bien un effet dévastateur.
Le miracle ne tardera pas. En avril 2008, Tera Consultants, un cabinet d’économistes et Equancy&Co, société spécialisée dans le conseil stratégique en marketing et communication, sortaient de leur chapeau un rapport sur les effets du piratage, intitulé l’Impact économique de la copie illégale des biens numérisés en France.
Les ayants droit pouvaient souffler : la CNIL avait l’étude dont elle regrettait l’absence ! Cette étude présentée comme « indépendante » s’était surtout appuyée sur les chiffres de l’ALPA et du SNEP pour estimer que le piratage avait coûté plus d'un milliard d’euros à l’industrie du disque, du cinéma et de la télévision. Ces copies illicites auraient même généré une perte de « 10 000 emplois en France » (notre actualité).
Ce rapport avait certes été contesté sur le web, notamment parce que le piratage permettait de gonfler la redevance pour copie privée, mais ses chiffres avaient surtout servi d’éléments serviles de langage à l’Assemblée nationale lors des débats sur le projet de loi Hadopi (Philippe Gosselin ou Franck Riester ici ou là).
Le rapport intime d’Aurélie Filippetti avec l’industrie du cinéma
En reprenant aujourd’hui les propos de l’ALPA, et constatant sans nuance que « près d’un internaute sur trois a consulté au moins une fois par mois un site dédié à la contrefaçon audiovisuelle », la ministre de la Culture prépare le terrain à l’édifice de son futur projet de loi Création.
La CNIL qui devra examiner légalement ce texte aura le morceau de pain dont elle regrettait l’absence en 2008. Il ne reste maintenant plus qu’à ficeler le tout pour envoyer le projet de loi aux parlementaires qui devront surtout ignorer que proportionnellement au nombre d’abonnés, le piratage a plutôt baissé.
La suite ? « Réorienter l’action de la Hadopi »
Et maintenant ? Si le projet de loi est programmé pour 2015, une petite phrase est à retenir dans une récente interview de la ministre de la Culture au magazine MMI « j’ai décidé que l’action de la Hadopi serait réorientée vers la lutte contre le piratage commercial » (MMI n°205, juillet 2014, p.8).
Relisons. Elle cite bien la Hadopi, non le CSA.
On notera aussi que lorsqu’elle dit vouloir « réorienter » la Hadopi vers le piratage commercial, la ministre va surtout organiser le cumul, un aveu que le gouvernement peine à faire, sans doute pour faire oublier son opposition passée à ce mécanisme. La Hadopi serait en tout cas armée de la riposte graduée en plus des nouveaux outils définis par Mireille Imbert Quaretta dans son étude sur la contrefaçon commerciale. Cependant, le méli-mélo ne s’arrête pas là, puisque cette étude-là définit des outils qui peuvent également frapper la contrefaçon non commerciale.
Si on résume, carte sur table : le piratage est « important » selon une étude de l’ALPA, mais la ministre, qui reprend le message, oublie de remarquer qu’il a baissé proportionnellement au nombre d’abonnés, comme l'applaudit la Hadopi. Aurélie Filippetti dit au même moment qu’elle veut « réorienter » l’action de la Hadopi - et non plus du CSA – vers la contrefaçon commerciale en cumulant en réalité cette action avec la riposte graduée. Et le tout, se fera à l’aide d’un rapport sur la contrefaçon commercial dont les préconisations s’appliquent également à la contrefaçon non commerciale
Le projet de loi Création commence sur de bonnes bases.