Y a-t-il en France une explosion du piratage ? Si l’Hadopi dit que non, certains ayants droit maintiennent le contraire, notamment depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande. L’ALPA, qui représente les principales majors du cinéma français, a dévoilé hier une étude censée mettre en avant cette « extension massive » du piratage de séries et de films. Pourtant, force est de constater au regard de ces chiffres que la tendance est plutôt à la baisse, au moins sur le long terme.
L’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), qui fait partie des cinq organisations d’ayants droit pouvant injecter quotidiennement jusqu’à 25 000 adresses IP dans le cadre du dispositif de riposte graduée, a dévoilé hier une étude portant sur le piratage de films et de séries. L’institution a ainsi essayé de comparer l’évolution des trois formes de partage les plus visibles sur Internet : le peer-to-peer, le streaming et le téléchargement direct. À l’appui de données fournies par Médiamétrie et TMG (l’entreprise flashe également les IP des utilisateurs de réseaux peer-to-peer), et couvrant la période 2009 - 2013, l’ALPA livre des chiffres qui montrent en fait que les choses ne changent guère.
P2P, téléchargement direct et streaming baissent tous sur le long terme
Commençons par le peer-to-peer. Après avoir fortement baissé entre janvier 2011 et janvier 2012, le nombre de « mises à disposition illicites » (comprenez : le nombre de personnes flashées en train de partager un film via un logiciel tel que BitTorrent ou eMule) a eu tendance à stagner, tout en diminuant petit à petit. De 2 millions de mises à disposition relevées sur le « top 10 » des films en janvier 2012, on est ainsi passé à 1,54 million en décembre 2013, selon les chiffres de l'ALPA.
En janvier 2011, soit quelques mois après l'envoi par la Hadopi premier mail d’avertissement, on dénombrait 5,7 millions de mises à disposition. Soit quatre fois plus qu’à la fin de l’année dernière. La chute demeure donc assez impressionnante sur le long terme.
S’agissant du téléchargement direct, la tendance est encore une fois à la baisse. Si l’on regarde l’évolution du nombre d’individus ayant réalisé au moins un téléchargement dans le mois, on passe de 3,68 millions en janvier 2011 à 3,47 millions en décembre 2013. On notera au passage que la fermeture de MegaUpload et de MegaVidéo, en janvier 2012 (entourée sur le graphique ci-dessous), n’a manifestement eu que bien peu d’effet au regard des très nombreuses fluctuations que l’on constate sur l’ensemble de la période.
Enfin, quand on se penche sur le nombre de vidéos vues sur les sites de streaming (hors YouTube et Dailymotion), on observe une nouvelle fois que ça baisse sur le long terme. De 43 millions de vidéos regardées en juillet 2011, on tombe à 14 millions à peine en décembre 2013... Soit presque trois fois moins ! Cette fois, la fermeture de MegaUpload/MegaVidéo semble avoir eu davantage d’impact, mais dans un court laps de temps. Dès le mois de mars 2012, soit deux mois après le raid contre Kim Dotcom, le streaming repartait ainsi à la hausse.
Forte chute du peer-to-peer, au profit du streaming
Mais si ces trois formes de piratage ont toutes baissé selon ces chiffres, certaines s’avèrent désormais davantage préférées à d’autres. Le P2P, qui accaparait presque la moitié des usages en 2009, en représentait moins d’un tiers l’année dernière (29 %). Inversement, le streaming a connu pour sa part une montée en puissance, passant de 16 à 38 % des usages en cinq ans. Il est désormais en tête, devant le téléchargement direct, qui est quant à lui resté plutôt stable (de 35 à 33 %).
Bref, à la lecture de ces chiffres, tout semble plutôt positif pour les acteurs de la lutte anti-piratage... Sauf que l’ALPA s’arrête en particulier sur un point qu’elle juge très important. L’association retient en effet que le nombre d’internautes français ayant consulté au moins une fois par mois un site dédié à la contrefaçon audiovisuelle, tous protocoles confondus, reste très important, et a même augmenté en cinq ans. De fait, on est passé selon ses chiffres de 11,4 millions de « pirates » en 2009 à 13,2 millions en 2013, soit une hausse de plus de 15 %.
Sauf que dans le même temps, le nombre de foyers français équipés d’un accès haut débit à Internet a lui aussi augmenté. Au 1er janvier 2009, l’ARCEP comptabilisait ainsi 18 millions d’abonnés environ (et non d’internautes, un accès pouvant servir à plusieurs internautes). À la mi-2013, le gendarme des télécoms en dénombrait plus de 24 millions, soit une augmentation de près de 30 % !
Quand l'ALPA joue sur les mots
Face à cette nuance, l’ALPA répond que 28,7 % des internautes consultaient régulièrement en 2013 des sites de piratage (téléchargement direct, peer-to-peer ou streaming), soit « près d’un internaute sur trois » - même si mathématiquement, on est bien plus proche du « un internaute sur quatre » que du « un internaute sur trois ».
La conclusion de l’association se révèle néanmoins peu surprenante. « Ces chiffres éclairent d'une lumière crue l'importance du téléchargement illicite en France », s’apitoie-t-elle, insistant sur le fait que le piratage de films et de séries « [met] en péril l'ensemble du financement de la création audiovisuelle ».
Une piqûre de rappel de la filière en l'absence de projet de loi sur la Création ?
Il est enfin intéressant de voir que les éléments de langage de l’ALPA ont été repris sans trop de nuance ici ou là (et notamment le fait que « près d’un internaute sur trois a consulté au moins une fois par mois un site dédié à la contrefaçon audiovisuelle »), à commencer par le ministère de la Culture. Dès hier, la Rue de Valois a en effet dégainé un communiqué pour « saluer la publication des résultats de cette étude, qui met en évidence l’importance du maintien d’une pédagogie active et déterminée autour de la lutte contre le piratage et de la valeur de la création ».
Aurélie Filippetti a ainsi fait savoir qu’elle tenait à réaffirmer « la nécessité d'une éducation à la création dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, quels qu'en soient les moyens d'accès, physiques et numériques, ainsi que du développement d’une offre légale attractive et d’une lutte renforcée contre le piratage commercial ».
Car la publication de cette étude n’arrive pas à n’importe quel moment... La ministre n’a pas réussi à présenter son projet de loi sur la Création, lequel devait procéder entre autres au transfert des compétences de la Hadopi vers le CSA. Et ce au grand dam des ayants droit, qui devront au moins attendre jusqu'à l'année prochaine. Mireille-Imbert Quaretta, la présidente de la Commission de protection des droits de la Hadopi, a en outre remis il y a quelques semaines à la ministre un rapport portant justement sur les outils de lutte contre la contrefaçon commerciale (voir notre analyse).