Exclusif Next INpact : Le blocage des trois sites de Joe le Corbeau n’est pas totalement enterré à Toulouse. S’il s’est désisté de son action à l’égard de l’auteur, le procureur a maintenu sa demande à l'encontre des FAI. Explications.
Page d'accueil du site Croah.fr
Devant le tribunal de grande instance de Toulouse, le procureur de la République avait réclamé le blocage de trois sites : joelecorbeau.org, joelecorbeau.com et croah.fr. Il avait assigné à cette fin Darty, Bouygues Telecom, Free, Numéricable, Orange et SFR ainsi que l’auteur du site. Cependant, le dossier a été très mal ficelé dès l’origine. Et pour cause, ce magistrat s’était contenté de dénoncer les contenus jugés malodorants de ces sites, des messages « à caractère antisémite », constitutifs d’un « trouble manifestement illicite », sans caractériser correctement les faits. Du coup, selon le TGI, Joe le Corbeau, éditeur de Croah.fr, n’avait « pas été en mesure de présenter sa défense en sachant exactement l’infraction qui pouvait constituer un trouble et fonder le retrait ou l’interdiction d’accès. »
Le procureur a fait appel de cette décision, mais son appel ne vise désormais plus que les fournisseurs d’accès pour des raisons de délais et de bugs de procédure. Il réclame en tout cas un blocage par tous moyens, sous astreinte de 2 000 euros par jour.
Des contenus qui « contestent l’existence de la Shoah »
Pour justifier sa demande, « audiencée » le 25 juin, il fait état de plusieurs faits. L’un des sites litigieux avait par exemple diffusé la photo d’une personne faisant la quenelle de Dieudonné devant l’école Orh Torah, là où Mohamed Merah a provoqué son massacre. Cette quenelle est qualifiée de « geste antisémite » par le procureur de la République.
Il cite également la diffusion de l’image d’un personnage fumant un gros cigare, habillé comme un prisonnier des camps de concentration, transportant une bombe, avec la mention « intouchables 2 » et « on a beaucoup souffert ». Il mentionne tout autant une caricature d’une personne déclarant « chacun son business » devant un camp de concentration accompagné d’un intitulé « accusée d’avoir déportée des juifs, la SNCF risque de perdre un gros contrat avec les États-Unis si elle ne verse pas d’indemnités ». Etc.
Selon lui, tous ces contenus, dont il n’a diffusé que de courts extraits, « contestent l’existence de la Shoah et à ce titre l’existence du crime contre l’humanité qu’elle a constitué et appellent à la haine envers un peuple ou une nation ». Mieux : « les images et les textes publiés par ces sites (…) font offense à l’Histoire et aux valeurs universelles et sont susceptibles d’occasionner un préjudice et de heurter gravement la sensibilité d’un public qui pourrait y accéder par mégarde. »
Des FAI ciblés sans mise en cause des hébergeurs
Sa procédure contre les FAI s’appuie non sur le droit de la presse, mais sur le seul article 6-I-8 de la LCEN. Cet article permet en effet à la justice de prescrire en référé ou sur requête, aux hébergeurs ou à défaut aux FAI « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné » par un contenu en ligne. Seulement, le procureur n’a pas mis en cause les hébergeurs des trois sites litigieux. Il considère que la jurisprudence l’autorise à mettre en cause les FAI, sans intervention préalable des hébergeurs.
Fait notable, le même procureur considère que si ce blocage d’accès est reconnu par la Cour d’appel de Toulouse, la liberté d’expression de Joe le Corbeau ne sera pas déplumée : dans le respect de la loi, celui-ci « restera libre d’utiliser ses sites et d’y poster ce qu’il veut. »