Suite à sa visite chez la start-up française Creads, Axelle Lemaire, la secrétaire d'État chargée du numérique, s'est attirée les foudres des graphistes. Après la publication de divers billets de blogs plutôt amers, voilà qu'une lettre ouverte vient de lui être adressée via le site travailgratuit.com. Les auteurs dénoncent notamment la revente de travail non rémunéré et la mise en avant par le gouvernement de telles sociétés.
« La France qui gagne (...) ce n’est certainement pas Creads »
En mai dernier, la start-up parisienne Creads a reçu non sans joie Axelle Lemaire, qui a tenu des propos élogieux à l'égard de la jeune pousse. Une visite qui a fait grincer des dents du côté des graphistes. Le site Les graphisteries a ainsi estimé que la secrétaire d'État encourageait ni plus ni moins le travail gratuit. Il faut dire que Creads est une « agence de communication participative », selon ses propres termes, qui consiste à proposer aux graphistes de répondre à une demande d'un client (un logo, etc.). Sauf qu'ici, seul le créateur choisi est payé, tout du moins pour les projets ouverts à toute la communauté (il existe aussi des projets fermés plus rémunérateurs). Les autres graphistes, eux, ont donc travaillé pour rien, hormis ceux présents dans le top 5. Une mise en concurrence qui déplait fortement aux professionnels du secteur, qui assimile cette façon de faire à du travail gratuit.
L'objectif officiel est quant à lui de baisser les prix pour les clients et de leur proposer de nombreux choix. Du côté des créateurs, cela leur permet de vendre leurs services très facilement à un grand nombre d'entreprises, petites ou grandes.
« Mme Lemaire doit prendre conscience d’une chose importante. La France qui gagne, comme elle le dit si bien, ce n’est certainement pas Creads qui exploite des dizaines de graphistes sur chaque projet pour n’en rémunérer qu’un au final expliquait ainsi la blogueuse Ludivine sur Les Graphisteries. Et encore, parler de rémunération est une insulte au vu des dotations en question. »
« Ce jeu implique des règles »
La lettre ouverte adressée à Axelle Lemaire ainsi qu'aux ministres Aurélie Filippetti (Culture) et François Rebsamen (Travail) va dans le même sens. Pour ses auteurs, à savoir le collectif Les graphisteries, l'association Metiers-graphiques et la plateforme collaborative KobOne, qui ne citent à aucun moment Creads mais dont la référence est évidente, ce type de sociétés « fonctionnant sur le principe du perverted crowdsourcing construisent leur offre commerciale sur les épaules d'une main d’œuvre qu'ils ne payent pas ».
Les mettre en avant comme a pu le faire la secrétaire d'État est donc une grave erreur à leurs yeux. Ils estiment même que ces entreprises sont dans l'illégalité : « professionnels mais aussi particuliers par milliers y travaillent sans contrats ni statuts au mépris des plus élémentaires obligations légales. Dévoyant à leur seul avantage les fondations de l'économie collaborative, elles mettent en péril une part importante du tissu économique représenté par les indépendants et les petites structures, détruisant bien plus d'emplois qu'elles n'en créent. »
Rejetant l'idée que ce type de compagnie soit un exemple, les auteurs de la lettre ouverte indiquent même que dans ce cas, le principe de l'appel d'offre n'est pas respecté, que le modèle collaboratif (crowdfunding) est dévoyé et que la prestation créative n'est pas de qualité. « Ce jeu implique des règles » précise-t-on, avant de rajouter qu'attirer « des milliers de personnes dans le salariat dissimulé pour s'épargner de les rémunérer décemment ou de payer son dû à l'État n'en fait pas partie. Faire travailler gratuitement les créatifs pour construire une offre commerciale à bon compte ne doit pas être toléré. »
Eclaircir la situation et réguler l'exploitation
Les objectifs de cette lettre sont principalement de pousser le gouvernement à donner une position claire sur ces activités. Les auteurs souhaitent de plus « qu'un contrôle renforcé soit mis en place autour de ces sociétés sur la base du droit actuel, notamment en terme de travail clandestin ». Enfin, ils demandent l'ouverture d'un groupe de travail afin de réfléchir à l'élaboration de mesures visant à encadrer et limiter l'exploitation du travail non rémunéré.
Au moment où nous rédigeons ces lignes, plus de 1150 personnes ont déjà signé la lettre. On retrouve principalement des graphistes, des designers graphiques, des webdesigners, des développeurs et des directeurs artistiques. Le nombre de signataires augmente toutefois minute après minute.