Le ministère de la Santé vient d’ouvrir sa base de données issue du Sunshine Act. Elle permet en théorie de découvrir les liens d’intérêts existant entre les labos et le monde médical. Seulement, le degré de transparence est beaucoup plus contrasté que ce qu'on pouvait espérer.
« La base de données publique Transparence - Santé rend accessible l’ensemble des informations déclarées par les entreprises sur les liens d’intérêts qu’elles entretiennent avec les acteurs du secteur de la santé » tambourine le ministère. Sur ce site attendu depuis le 1er avril dernier, il est désormais possible de taper le nom de son médecin et découvrir ses généreuses relations avec tel ou tel laboratoire. Ce dispositif est le fruit de la loi du 20 décembre 2011 et d’un lot de textes d’application, un ensemble dénommé Sunshine Act, à l’image d’une législation équivalente outre-Atlantique.
Liens d'intérêts ou conflits d'intérêts ?
« Lien d’intérêts ne signifie pas conflit d’intérêts. Pour développer leurs produits, les entreprises sont amenées à nouer des relations avec des experts, des journalistes et des acteurs publics. Il faut bien entendu conserver et développer cette complémentarité, qui fait avancer la science et permet le progrès thérapeutique » arrondit encore le ministère. « En révélant l’existence de ces liens, la base de données publique « Transparence - Santé » permet à chaque internaute, à chaque citoyen, d’apprécier en toute objectivité la nature des relations qui lient les industries de santé aux autres parties prenantes du secteur ».
D'apparence, le mécanisme est très accessible : on entre le nom de son médecin puis on découvre les cadeaux reçus. Attention, cependant, par cette recherche simple, les résultats affichés par nom oublient de purger les doublons. Le ministère ne propose pas ici d’option pour unifier les liens d’intérêts. Il faut pour cela rebasculer sur la recherche approfondie, armé du numéro d’identification du bénéficiaire.
Quelles sont les entreprises concernées par ce site ? Il s’agit, précise le ministère, « des entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire ou cosmétique doivent rendre publics les avantages accordés aux différents acteurs intervenant dans le champ de la santé, notamment aux professionnels de santé, ainsi que l’existence des conventions conclues avec ces acteurs ».
Du côté des bénéficiaires, sont visés les professionnels de santé (médecins, pharmaciens, préparateurs en pharmacie et en pharmacie hospitalière, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, infirmiers, aides-soignants, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures podologues, etc.), les associations de professionnels de santé, les étudiants suivant ces cursus, mais également « des entreprises éditrices de presse, de services de radio ou de télévision et de services de communication au public en ligne » ou « éditeurs de logiciels d'aide à la prescription et à la délivrance. »
Enfin, concernant les produits, la gamme est large puisqu’il s’agit des médicaments, des produits contraceptifs, du secteur des lentilles de contact, des logiciels utilisés par les laboratoires de biologie médicale, des produits cosmétiques et même des produits de tatouage.
Un transparence limitée
Cependant, comme souligné à maintes reprises dans nos colonnes et sur le plateau d'Arrêt sur Images, ce mécanisme initié suite notamment au scandale du Médiator possède plusieurs restrictions qui empêchent une totale transparence :
- Les informations de cette base, mises à jour deux fois par an, reposent sur une démarche déclarative. « Les entreprises sont responsables de l’exactitude des contenus publiés » prévient le ministère.
- Les avantages en nature ou en espèce seront listés s’ils sont supérieurs à 10 euros.
- Lorsque le professionnel de la santé noue une convention, c’est-à-dire un accord des obligations croisées (un médecin est payé pour un discours lors d’un congrès organisé par un labo), seule l’existence de la convention sera précisée, non ses juteuses contreparties. Cela concerne par exemple les activités de recherche, les essais cliniques sur un produit de santé, une action de formation.
- L’obligation de mentionner l’existence des conventions ne s'applique pas à celles qui font l’objet d’une facturation pour l'achat de biens ou de services. Ces conventions resteront donc secrètes. Voilà pourquoi, par exemple, on ne retrouve aucune des publicités payées par les labos sur les chaînes de TV.
- Les données ne sont pas véritablement en Open Data. On ne peut par exemple les exporter pour faire un traitement d’ensemble ou approfondi. Cependant, il est possible de faire une recherche avancée pour cibler une période ou un bénéficiaire par exemple.
- Enfin, les moteurs ne peuvent référencer les données nominatives de ce site, suite à un avis de la CNIL, qui a préféré protéger la vie privée des professionnels de santé.
Le Formindep, association de médecins, favorable à l'ouverture des données, a plusieurs fois condamné l'interdiction d'indexation dans les moteurs. Elle exposait sur Next INpact que « le prétexte de cette non-indexation est fallacieux. C’est soi-disant pour protéger la vie privée, mais on ne va pas raconter la vie sexuelle ou donner l’adresse personnelle de ces gens, uniquement l’état de leur situation professionnelle ! Ces informations concernent la santé publique et la qualité des soins. Empêcher l’indexation, c’est rendre inexploitable l’accès à ces données. Ce qui compte pour les citoyens, c’est bien d’avoir des informations sur la façon dont ces professionnels se forment ou reçoivent des cadeaux. »