Le gouvernement vient de soumettre à la Commission européenne un énième projet de loi de lutte contre le terrorisme. Au travers de ce texte, on apprend que la France voudrait faire avaliser par Bruxelles un dispositif de blocage administratif (donc sans juge) des sites Internet provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Une proposition portée jusqu'ici par l'UMP. Explications.
Le ministère de l’Intérieur a transmis hier à Bruxelles son projet de loi « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » (PDF). L’exécutif demande à la Commission de se prononcer en urgence sur ses dispositions, puisqu’on apprend que le Conseil d’État vient d’être saisi du texte, « en vue de son examen en Conseil des ministres au début du mois de juillet ». Le gouvernement affirme même que le projet de loi figure à l’ordre du jour de la session d’été du Parlement, qui débutera le 1er juillet prochain.
Au travers de l’article 6 de ce projet de loi, il est pour l’heure question de modifier la loi pour la confiance dans l’économie numérique, afin que celle-ci prévoit expressément que « lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des propos ou images incitant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie le justifient, l'autorité administrative notifie aux [fournisseurs d’accès à Internet] les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l'accès sans délai ». En clair, l’exécutif propose d’autoriser certaines administrations (la police, la DGCCRF,...) à obliger les opérateurs à bloquer des sites terroristes « sans délai » et selon une liste formulée par les autorités elles-mêmes.
L'exécutif vante le blocage administratif
Pour justifier un tel glissement, la Place Beauvau fait tout d’abord valoir que « la grande majorité des sites faisant l’apologie du terrorisme et provocant à une radicalisation, à l’instar des sites pédopornographiques, sont hébergés à l’étranger ». D’où une « indispensable » mise à contribution des prestataires techniques. D’autre part, le ministère de l’Intérieur jure que ces dispositions vont permettre « de protéger l’internaute de bonne foi de contenus non recherchés par lui », mais aussi « d’éviter que ne se diffuse la propagande terroriste ». Et ce d’autant que le nombre de sites terroristes augmenterait « très rapidement » aujourd’hui.
Aux yeux de l’exécutif, le blocage administratif présente donc « l’avantage de pouvoir traiter un grand nombre de sites ou de pages Internet dans des délais plus brefs que ceux résultant du blocage judiciaire ». Il permet en outre « de concilier l’efficacité de la mesure de prévention avec le respect des droits et libertés dès lors que cette mesure de police est susceptible de recours devant le juge ». La Place Beauvau précise enfin qu’un décret viendra assurer la mise en place du dispositif, à l’image de ce qui a été prévu par la LOPPSI pour les sites à caractère pédopornographique. Sauf que depuis l’adoption de ce texte en 2011, aucun décret n’a été publié...

Le gouvernement promet un décret d'application et une compensation pour les FAI
Et les FAI dans cette histoire ? « Pour les prestataires techniques, l’impact financier devrait être nul, promet le gouvernement : les mesures de surveillance et de signalement sont déjà mises en œuvre dans plusieurs autres domaines (pédopornographie, apologie des crimes contre l’humanité…), et les surcoûts éventuels engendrés par les mesures de blocage seront compensés par l’État ». Bref, à en croire la Place Beauvau, tout va bien dans le meilleur des mondes.
Les opérateurs pourraient cependant avoir du mal à s’y retrouver... Il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a justement estimé que les FAI n’avaient pas à obtenir de compensation pour le blocage de contenus illicites. « Je ne vois aucune raison pour l’État de payer des FAI qui fournissent des éléments illégaux, gravement illicites. Dès lors que ces éléments sont illicites et leur sont signalés, ils doivent tout simplement ne pas les diffuser » a-t-il déclaré.
Alors que les prochaines semaines permettront d'en savoir davantage sur l'avenir de ce projet de loi, insistons sur le fait que ces dispositions sur le blocage administratif des sites terroristes s'inspirent en partie de la proposition de loi déposée par certains députés UMP, et que l’Assemblée nationale a rejetée il y a une dizaine de jours. Le secrétaire d'État chargé des Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, avait alors fait état de difficultés constitutionnelles empêchant de soutenir les dispositions en question, lesquelles avaient également trait au délit de consultation des sites terroristes.