« Nous voulons cibler les intermédiaires, les sites qui violent les droits de propriété intellectuelle, plutôt que les utilisateurs finaux ». Voilà ce que nous confie la Commission européenne qui vient d’annoncer une prochaine communication contre les contenus illicites.
Les mesures seront dévoilées le 1er juillet prochain. Ce jour, « la Commission européenne adoptera un ensemble de deux communications : la première est un plan d’action de l’UE pour lutter contre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle; la seconde est une stratégie pour la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle dans les pays tiers ».
Ce plan d’action intégrera dix mesures destinées à s’attaquer à ceux qui violent la propriété intellectuelle à une « échelle commerciale ». La Commission ne détaille pas pour l’instant le contenu de ces mesures, mais assure que « ces nouveaux outils (non législatifs) comprennent ce que l’on appelle l’approche «follow the money» («suivez l’argent»), dont la finalité est de priver les contrevenants agissant à une échelle commerciale de leurs revenus. Le dispositif sera épaulé par des actions de coopérations entre les autorités européennes et même avec les pays tiers. Il s’agira par exemple « d’utiliser tous les moyens possibles pour dissuader et empêcher efficacement l’entrée et la diffusion des contrefaçons sur les marchés de l’UE et ceux des pays tiers. »
Ces outils « non législatifs » s’appuieront sans doute sur la bonne volonté des acteurs, sans recourir donc à de nouveaux textes ni nécessairement à un juge. L’avantage de ces solutions négociées dans le silence feutré des bureaux réside dans leur rapidité de mise en œuvre. Leur inconvénient tient au manque de contrôle démocratique et aux risques d’atteintes à la liberté d’expression ou de communication.
L’« échelle commerciale », un reste d’ACTA
Problème, la notion même d’ « échelle commerciale », cible de ces mesures, est bien plus large qu’elle ne le laisse entendre. Le communiqué de la Commission est certes laconique, mais la notion avait déjà été utilisée dans l’accord ACTA. Miracle sémantique, l’ « échelle commerciale » peut en effet viser des opérations qui ne sont pas nécessairement effectuées à des fins commerciales. Dans ACTA, la notion d’échelle commerciale visait en effet :
«- les infractions délibérées et significatives aux droits d’auteur et droits voisins qui n'ont pas pour but direct ou indirect un gain financier, et
- les infractions délibérées et significatives aux droits d’auteur et droits voisins qui ont pour but un avantage commercial ou un gain financier. »
ACTA avait été rejeté par le Parlement européen. Avec ces futures mesures non législatives, Karel de Gutch, Commissaire européen au Commerce, pourra souffler : il n’aura donc pas à affronter la démocratie européenne.
« Follow the money »
La communication attendue de Bruxelles peut viser aussi bien Internet que les biens physiques. Elle s’inscrit dans le même mouvement que les lois SOPA/PIPA, applaudies par les ayants droit français (là et là) mais abandonnées après un black out mondial. On retrouve déjà des traces du rapport Lescure et surtout celui de Mireille Imbert Quaretta. L’expression « follow the money » a en effet été utilisée par l’actuelle présidente de la Commission de protection des droits.
Celle-ci propose différentes pistes pour impliquer les acteurs de paiement et les régies publicitaires, sans intervention préalable du juge. Elle milite par exemple pour l’édiction de chartes de bonnes pratiques. « Volontairement, dans un premier temps, je ne propose qu’un droit fondé sur l’autorégulation sans sanction, nous précisait MIQ dans une interview. Pour ma part, je compte sur la bonne volonté des gens. Cependant, si à un moment donné, cela ne marche pas, on pourra envisager des sanctions. »
MIQ prône aussi la mise en place d’une liste noire des sites contrefacteurs que les intermédiaires seraient amenés à éviter. Là encore, cette liste noire serait rédigée sans jugement. « Quand vous avez au niveau international la liste des compagnies aériennes qu’il vaut mieux éviter, on n’attend pas un crash et un jugement pour dire qu’il vaut mieux éviter cette société ». Fait notable ses outils visant la contrefaçon commerciale s’appliquent également à la contrefaçon non commerciale, comme MIQ nous l’a confirmé.
L’Europe suivra-t-elle ses préconisations pour le moins ambitieuses ? Réponse dans quelques jours.