Qwant, lancé en 2013 en France et en mars dernier en Allemagne, est un moteur de recherche qui souhaite concurrencer Google, Bing et DuckDuckGo. Le géant allemand Axel Springer, très critique envers Google ces derniers temps, vient d'annoncer officiellement avoir pris 20 % de la start-up française. Un mariage troublant entre un géant des médias et un moteur de recherche, qui soulève de nombreuses questions, notamment sur l'indépendance des résultats.
Axel Springer : nous « sommes dépendants de Google »
En matière de moteur de recherche, en Europe (hors Russie) tout du moins, il y a Google et les autres. Yahoo/Bing, DuckDuckGo ou encore Qwant ne grappillent que quelques rares visites. Et si certains progressent ces derniers temps grâce aux différentes polémiques sur le respect de la vie privée et les affaires NSA/Prism, le géant Google reste le maitre incontesté de son secteur. Une situation qui déplait à bien des sociétés, ceci pour deux raisons. La première est que l'Américain avantage (selon les concurrents) ses propres services, d'où son conflit avec la Commission européenne. La seconde est qu'une telle importance, souvent supérieure à 90 voire 95 % du marché, mène à une situation de dépendance.
Au printemps dernier, Mathias Döpfner, le PDG du groupe de médias allemands Axel Springer (Bild, etc.), a ainsi publié une lettre ouverte dénonçant cette situation de dépendance et sa crainte de Google (sa traduction complète).
Le patron déclarait notamment ceci : « Nous ne connaissons pas d'alternative, qui offre même partiellement, à conditions technologiques comparables, l'automatisation de la commercialisation publicitaire. Et nous ne pouvons pas renoncer à cette source de revenus, parce que nous avons besoin de cet argent de manière urgente pour de futurs investissements technologiques. (...) Nous ne connaissons pas d'alternative en moteurs de recherche qui permettrait de garantir ou d'accroître notre portée en ligne. Une grande partie des médias de qualité obtiennent leur trafic surtout par Google. Pour les autres, avant tout dans les secteurs non journalistiques, le consommateur ne trouve l'accès au fournisseur presque uniquement par Google. En clair, cela revient à dire : " nous – et bien d'autres – sommes dépendants de Google. Google détient en Allemagne pour le moment une part de marché dans les moteurs de recherche de 91,2%. Ainsi la déclaration "si Google ne vous convient pas, vous pouvez vous désinscrire et aller ailleurs" est à peu près aussi réaliste que le conseil d'un adversaire du nucléaire à renoncer simplement à l'électricité. Cela n'est justement pas possible dans le monde réel – à moins de vouloir entrer dans la communauté Amish. »
L'importance de la protection de la vie privée
Face à cette situation intenable, Axel Springer, qui détient en France Autos Plus, Télé Magazine mais aussi auFeminin et Marmiton, a donc décidé d'investir dans Qwant. L'information a été dévoilée par certains de nos confrères hier et a été officialisée il y a quelques heures. Dans son communiqué, le groupe de médias indique acquérir 20 % de la start-up pour une somme non précisée. Le Point, qui avait révélé la nouvelle hier, indique que 5 millions d'euros ont été posés sur la table. Toujours dans son communiqué officiel, Ulrich Schmitz, le directeur de la technologie d'Axel Springer, commente l'une des raisons de cet investissement : « Dans le marché de la recherche, il existe de nombreuses innovations. Pour y prendre part et en apprendre plus, nous participons à une jeune entreprise qui apporte de nouvelles idées et de la diversité. »
Axel Springer note aussi que Qwant attache une importance particulière « à la protection de la vie privée des utilisateurs et l'a pris en compte dès le début de la conception du produit ». Il est vrai que l'année passée, les créateurs du moteur de recherche notaient que leur service « donne accès à tout et ne garde rien. (...) Parce que les fondateurs ont compris que le respect des données personnelles était vital pour l’internaute, Qwant garantit l’anonymat de chacun. Les cookies ne vous épient pas, ils servent uniquement à optimiser l’expérience utilisateur (couleur de l’espace personnel, carnets de notes). La volonté des fondateurs de QWANT est de donner à l’internaute le droit à l’effacement : ne conserver sur le Net que les données consenties. » DuckDuckGo surfe d'ailleurs sur la même tendance depuis un moment en insistant sur le fait qu'il ne collecte ni partage d'informations personnelles.
Un rapprochement qui implique de nombreuses questions
Cet investissement de la part d'un groupe de médias dans un moteur de recherche soulève néanmoins plusieurs interrogations. Si Google est suspecté d'avantager ses propres services dans ses résultats, Axel Springer ne risque-t-il pas de subir les mêmes critiques vis-à-vis de Qwant ? Quel sera désormais le degré d'indépendance du petit moteur de recherche français ? Si l'on peut comprendre la stratégie du groupe allemand de diversifier ses ressources et de pousser un concurrent de Google, on peut surtout avoir l'impression que l'on ne fait que déplacer le problème, l'abus de position dominante étant remplacé par un rapprochement de deux mondes opposés et potentiellement dangereux.
Reste que pour le moment, Qwant reste un moteur de recherche secondaire. Le site n'a ainsi cumulé que 507 millions de requêtes l'an passé, soit une moyenne mensuelle de 50,7 millions de requêtes (entre mars et décembre). C'est certes un bilan intéressant pour une première année, mais cela reste bien plus faible que DuckDuckGo qui atteint ces derniers jours entre 5 et 6 millions de requêtes quotidiennes, soit plus que 150 millions par mois. Et le moteur ne cesse de croître depuis un an, avec une multiplication par trois de son audience.