La récente installation de la Commission parlementaire sur les « droits et libertés à l’âge du numérique » fait l’objet d’une contestation des ayants droit. Spécialement, Pascal Rogard, directeur général de la SACD, vient ainsi d’écrire au président de l’Assemblée nationale pour se plaindre des « risques de conflits d’intérêts de certains des membres de cette commission. »
En cause ? La présence d’avocats au sein de cette commission chargée de plancher sur le numérique. Une présence expliquée au titre des « personnalités qualifiées » mais qui aurait les mauvaises odeurs du conflit d’intérêts.
Des lobbyistes au sein de la noble institution ? Le député Christian Paul, qui copréside cette nouvelle commission, nous a déjà répondu sur ce point : « La plupart des personnalités qualifiées ont de près ou de loin travaillé avec des entreprises du numérique. Il y a plusieurs entrepreneurs d'ailleurs. Simplement, on leur a demandé en entrant dans la commission de « laisser au vestiaire » la représentation d'intérêts. L'avantage de ce type de commission, qui est quand même très publique, sous le regard de l'opinion, c'est qu'une activité de défense d'intérêts particuliers serait immédiatement détectée ». Le député de la majorité ajoute que « s'il y avait un portage d'intérêts économiques au détriment de l'intérêt général, je pense que ce serait aisément repéré. Il y aura en ce sens une sorte de corégulation. »
Pas de créateurs, mais des avocats également lobbyistes
Mais les explications ne contentent pas les ayants droit. Pascal Rogard vient ainsi d’écrire au président de l’Assemblée nationale pour reprocher l’absence des « créateurs » au sein de la Commission du numérique « alors que l’impact du numérique sur la création, la culture et la circulation des œuvres aurait largement justifié qu’une présence minimale soit assurée ».

L’atteinte au « pluralisme » des idées est d’autant plus importante qu’on trouve parmi les membres trois avocats : « si toutes les personnalités qualifiées désignées pour y siéger sont légitimes en soi à y participer, de par leur parcours et leurs compétences, il n’en reste pas moins que la présence de trois avocats, exerçant pour certains également la fonction de lobbyiste, interpelle toux ceux qui sont soucieux du respect de la déontologie. »
Sans crainte, il cite nommément Me Winston Maxwell, qui fut l’avocat chargé d’accompagner Netflix. « La présence de l’avocat d’une entreprise américaine qui préfère installer son siège aux Pays-Bas pour mieux contourner les règles fiscales françaises et s’exonérer de toute contribution à la création audiovisuelle et cinématographique [n’est pas] une démarche très pertinente » estime Rogard.
Il pointe tout autant la présence de Me Thaima Samman, laquelle a représenté maintes fois les intérêts de Microsoft, ou encore Christiane Feral-Schuhl « qui compte, selon son site Internet, parmi ses clients des constructeurs et prestataires informatiques, des fournisseurs d’accès et de contenus internet » constate le numéro un de la SACD.
Bref, cette brochette d’avocats-lobbyistes « pourrait nouer des doutes sur l’indépendance réelle de leurs prises de position ». Et Pascal Rogard de réclamer que ces avocats « publient sans tarder la liste des clients des intérêts qu’ils défendent au quotidien et en tirent les conséquences au cas où de tels risques s’avèreraient fondés ». Bref, ces avocats doivent ranger au vestiaire le secret de leurs affaires et révéler les noms de leurs clients, avec possible purge à la clef.
Et au CSPLA, entre les murs du ministère de la Culture ?
La présence d’avocats dans des institutions officielles n’est pas une nouveauté en soi. On peut spécialement citer le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.
Cette instance consultative indépendante, « chargée de conseiller le ministre de la culture et de la communication en matière de la propriété littéraire et artistique » publie sur son site la liste de ses membres. Outre la SACEM, le SNEP, ou encore la SACD de Pascal Rogard, on trouve deux avocats.
Il y a d’une part, Me Josée-Anne Benazeraf « avocate à la Cour, avocate associée au sein de la SCP Dartevelle-Bénazéraf-Merlet, en charge des affaires de propriété intellectuelle, Responsable de la commission de la propriété littéraire et artistique au sein de la commission de la propriété intellectuelle de l'ordre des avocats à la Cour de Paris ». Sur son site, on apprend qu’elle « intervient régulièrement dans des dossiers complexes relatifs à la contrefaçon d'œuvres de l'esprit, spécialement sur Internet, la gestion collective des droits d'auteurs et l'édition littéraire. Elle conseille, défend et assiste des acteurs majeurs de l'industrie de la musique, de l'édition littéraire et du marché de l'art. »
Toujours au CSPLA, il y également Me Jean Martin, « avocat à la Cour, chargé d'enseignement à l'université Paris-Dauphine (…) directeur de l'Encyclopédie du droit de la communication, auteur de nombreux articles et ouvrages sur le droit de la communication ». Il est spécialisé en droit de la communication et de la propriété intellectuelle et est même expert auprès de la Commission européenne « sur les évolutions juridiques du marché de l’information et des technologies de la communication » (voir ce site).
Ces deux éminents avocats sont juridiquement nommés par arrêté de la ministre de la Culture et de la Communication au titre des « personnalités qualifiées » pour une durée de trois ans renouvelable. C’est ce même arrêté qui justifie la nomination de trois prestigieux professeurs d'université dont Pierre Sirinelli ou Valerie-Laure Benabou, laquelle est par ailleurs membre de la Commission parlementaire sur le numérique, et accessoirement membre de l’équipe du cabinet de Me Gilles Vercken, spécialiste de la propriété intellectuelle.
Faute de trouver la moindre liste sur Internet, nous avons demandé à Pascal Rogard quels étaient les clients de ces deux cabinets. Réponse, via Twitter :
Signalons pour finir que plusieurs organismes siégeant au sein du CSPLA sont aussi enregistrés en tant que « représentants d’intérêts » au sein des registres officiels de la Commission européenne. Sur le site de l’institution bruxelloise, on retrouve des organismes qui siègent aussi au CSPLA. Il y a par exemple la SACEM, la SCPP ou encore la SACD.