[Interview] La France pourrait-elle accorder l’asile à Edward Snowden ?

Avec la professeure de droit Roseline Letteron
Droit 5 min
[Interview] La France pourrait-elle accorder l’asile à Edward Snowden ?

Depuis une quinzaine de jours, les prises de positions se multiplient afin que la France apporte son soutien au lanceur d’alertes Edward Snowden, plus précisément en lui accordant l’asile. Pour éclairer ce débat, Next INpact a sollicité l’analyse de la professeure de droit Roseline Letteron. 

snowden asile
Crédits : UweHiksch (licence: CC by SA 2.0)

Alors que le visa russe d’Edward Snowden doit expirer le 31 juillet prochain, Roseline Letteron a publié sur son blog un billet dans lequel cette professeure de droit revient sur les récentes propositions de résolution déposées par l’UDI à l’Assemblée nationale et au Sénat en faveur du lanceur d’alertes.

 

Se penchant tout particulièrement sur les multiples prises de position tendant à ce que la France accorde l’asile à l’Américain, cette spécialiste des droits de l’homme et des libertés publiques regrette que le droit soit invoqué ces derniers jours « de manière plus ou moins incantatoire, sans que la question soit posée de son applicabilité au cas d'Edward Snowden ». Or, même si tel était le cas, Roseline Letteron retient qu’en l’état actuel des choses, « on imagine mal les autorités françaises s'opposant vigoureusement à l'administration Obama, au point de donner asile à Edward Snowden ».

Certains députés et sénateurs veulent que la France accorde l’asile à Edward Snowden. En quoi cette demande vous paraît-elle irréaliste ?

Irréaliste est un grand mot ! Disons qu’elle repose sur un présupposé extrêmement dangereux pour Snowden lui-même. D’une part, elle suppose que le droit autorise l’accueil de Snowden avec un statut de réfugié ou en lui accordant l’asile. D’autre part, elle suppose que le droit est suffisamment puissant pour s’opposer non seulement aux pressions américaines, mais aussi à la volonté de l’exécutif. Autrement dit, elle part du principe que le droit d’asile de Snowden pourrait être imposé au président de la République et au Premier ministre, vision quelque peu optimiste de la situation...

D’un point de vue juridique, notre droit ne nous permettrait-il pourtant pas d’accueillir le lanceur d’alertes ?

Il existe en France deux procédures distinctes :

  • L’asile conventionnel, qui trouve son origine dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951, et à laquelle la France est partie. Selon son article 1er, alinéa 2, la qualité de réfugié peut être accordée à toute personne qui « craignant avec raison être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a nationalité et qui ne peut (...) se réclamer de la protection de ce pays ». Snowden ne peut pas en bénéficier car cet asile ne peut être accordé que lorsque le demandeur est sur le territoire français. Or, il est actuellement sur le territoire russe, et ne dispose pas de documents de voyage.                                                                                         
  • L’asile constitutionnel trouve quant à lui son fondement dans l'article 53 alinéa 1 de la Constitution, qui permet aux autorités d'accorder l'asile à « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ». Cet asile est plus étroit que l'asile conventionnel car il ne s'applique qu'à ceux qui ont une action « en faveur de la liberté ». On pourrait considérer que c'est le cas de Snowden qui a mis en évidence les atteintes à la vie privée et à la sûreté provoquées par un système de surveillance mondiale mis en place par les États-Unis. Il n’empêche qu’il paraît bien difficile d’obtenir dans ce sens une décision de l’OFPRA [Office français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr], qui irait ainsi à l’encontre de la volonté de l’exécutif. De la même manière, il ne faut pas oublier que Snowden est, au regard du droit américain, l’auteur d’une infraction grave et non pas d’une simple délit d’opinion. On ne doute pas que les autorités américaines utiliseraient tous les moyens à leur disposition pour contester cet asile.

Au final, n’est-ce donc pas là un mauvais signal envoyé au principal intéressé ?

À dire vrai, pas vraiment. Pour le moment, ce sont des militants des droits de l’homme et des parlementaires français qui demandent l’asile, pas Snowden - qui n’entretient sans doute aucune illusion à cet égard. Le message envoyé est plutôt à usage interne, pour affirmer une position généreuse, dont nul n’ignore qu’elle ne peut guère avoir de conséquences pratiques.

Les parlementaires UDI songent également à faire d’Edward Snowden un « citoyen d’honneur de la République française », un titre attribué à une poignée de personnes il y a plus de 200 ans... Le Parlement est-il en mesure de remettre ce titre au goût du jour ?

Les parlementaires ont choisi de se référer au décret du 26 août 1792. Il accordait la citoyenneté française aux « hommes qui, par leurs écrits et par leur courage, ont servi la cause de la liberté et préparé l’affranchissement des peuples », et qui « ne peuvent être regardés comme étrangers par une nation que ses lumières et son courage ont rendue libre ». À l’époque, il s’agissait d’honorer les Pères Fondateurs américains, en particulier Washington, Jefferson et Paine. Reste qu’il s’agit d’un « décret législatif » voté à l’époque de la Constitution de 1791. Pour entrer en vigueur, il devait obtenir la « sanction » royale, c’est-à-dire que Louis XVI ne devait pas opposer son veto. Mais trois semaines après ce vote, la République était proclamée, le roi enfermé au Temple et la Constitution de 1791 disparaissait purement et simplement.

 

Le fondement juridique choisi par les parlementaires de 2014 est donc bien fragile pour ne pas dire inexistant. Ceci dit, comparer Snowden aux Pères Fondateurs américains ne manquerait pas de panache et tout le monde serait curieux de voir la réaction de la presse d’outre-Atlantique !

 

Merci Roseline Letteron.

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