Le projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes reviendra à l’Assemblée nationale mercredi en commission des lois. Celle-ci sera chargée d’examiner les amendements proposés par les députés avant l’examen en séance prévu le 26 juin. Problème : ce texte va accentuer la responsabilité des intermédiaires techniques. Un mouvement que veut stopper le député UMP Lionel Tardy.
Le projet de loi veut sanctionner jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende les cas de cyber-harcèlement. Ce délit sera constitué dès lors qu’une personne est harcelée « par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Les peines seront alourdies si la victime est un mineur de 15 ans, un handicapé ou entraine une incapacité totale de travail supérieur à 8 jours.
Surtout, Najat Vallaud Belkacem (NVB), ministre des droits de la femme, veut accentuer le rôle des intermédiaires (FAI et hébergeurs) afin de les contraindre à dénoncer à la plateforme gouvernementale « Pharos » les abus de la liberté d’expression.
Manifestement illicite, manifestement délicat
Selon les textes aujourd’hui en vigueur, et définis par la loi sur la confiance dans l’économie numérique, les intermédiaires doivent recevoir les signalements des internautes relatifs à une série d’infractions considérées comme graves : l’apologie des crimes contre l’humanité (négationnisme, etc.), l’incitation à la haine raciale et la pédopornographie. Ils doivent en outre faire le ménage sur ces contenus manifestement illicites.
La ministre du droit des femmes veut exploiter cette brèche en y ajoutant l’incitation et la provocation à la haine fondée sur le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle, ou le handicap. Bref, les contenus sexistes, handiphobes ou encore homophobes qui devront être traités par les intermédiaires sous peine de sanction (voir notre émission 14h42 et notre dossier). En première lecture, sur amendements de Catherine Tasca, le Sénat avait ajouté à cette liste définie à l'article 17 du projet, la « diffusion d’images enregistrées lors d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne » (happy slapping, etc.). Un ajout supprimé à l’Assemblée nationale, mais finalement réinjecté par le Sénat en seconde lecture.
Pourquoi s’entêter à équiper l’intermédiaire d’un képi sur la tête ?
Par le jeu de la procédure parlementaire, ce texte est maintenant de retour à l’Assemblée nationale. Comme en première lecture, le député Lionel Tardy va déposer de nouveaux amendements visant principalement à supprimer ce fameux article 17. « Si l'on peut comprendre cette disposition (…), il convient de rappeler que le rôle des intermédiaires n'est pas celui d'une police du Net » considère le député UMP de Haute-Savoie. « Ces derniers n'ont ni les moyens ni la légitimité pour ce faire. Pourtant, leur responsabilité peut être engagée s’ils n’empêchent pas l’accès à des contenus illicites, dont la définition est laissée à leur appréciation/ »
L’autre crainte, déjà exprimée lors des débats, est celle de la saturation de la plateforme destinée à accueillir les signalements des intermédiaires. « C'est l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCTLTIC) qui gère directement la plateforme en ligne de signalement « PHAROS ».Or, en 2012, sur 12 000 signalements portés à sa connaissance, seulement 1 329 ont été transmis à la police nationale et 3 970 confiés à Interpol » (voir les derniers chiffres). Dans le fil de la procédure, le rapport sénatorial de la commission des Lois avait lui aussi exposé que « ces statistiques soulignent les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de ce type de dispositif en matière de tri des contenus portés à la connaissance des autorités compétentes. »
Le risque est donc celui de la saturation avec des contenus dangereux (pédopornographie) noyée dans une masse de dénonciations. Plus globalement, soulève encore Lionel Tady, les hébergeurs et les FAI n’ont pas à substituer à l’État par ces missions de police et de justice. « Ce n'est pas leur rôle. »
Axelle Lemaire dans l’étau de la Realpolitik
Le député UMP devrait théoriquement trouver une alliée de poids dans ces discussions, sauf bien entendu si les contraintes politiques gomment le devoir de mémoire.
Il s’agit ici des positions d’Axelle Lemaire qui, à quelques encablures de sa nomination comme ministre déléguée au numérique, s’était franchement opposée à ce dispositif à l’Assemblée nationale.
Elle alertait ainsi Najat Vallaud Belkacem sur le risque d’inconstitutionnalité de son texte puisqu’on en vient à demander aux intermédiaires de traiter de contenus pas toujours manifestement illicites. « En toute logique, le Conseil Constitutionnel devrait donc à nouveau censurer tout élargissement de la responsabilité de l’hébergeur, tant on peut douter de la capacité de ce dernier à juger du caractère « manifeste » de bien des discriminations entre les hommes et les femmes. »
La jeune députée socialiste demandait en outre à la ministre de ne « pas confier ce rôle de censeur à des sociétés privées. Hors des cas les plus patents, tels que la pédopornographie ou l’apologie de crimes contre l’humanité, il est essentiel qu’une autorité judiciaire indépendante ordonne ce retrait ». Elle rappelait à ce titre la censure par Facebook d’une photo de mammographie ou de la reproduction de « L’origine du monde » de Courbet. Tout comme Lionel Tardy, assurait que la plate-forme de police « pourrait être noyée sous un très grand nombre de signalements, dont certains, en visant des contenus licites, deviendraient inopportuns. »
À NVB qui voudrait que les FAI ou les hébergeurs prennent des dispositions « pour mettre fin » aux écarts de langage sexistes, Axelle Lemaire rétorquait que « les hébergeurs ne sont pas en mesure de juger efficacement de la licéité des contenus – sachant que, de surcroît, le Conseil constitutionnel leur demande d’opérer un jugement manifeste et non pas certain. Tout cela s’étant fait dans l’opacité la plus totale, nous ne connaissons pas les critères utilisés par les intermédiaires. »
Axelle Lemaire sera-t-elle toujours aux côtés de Lionel Tardy pour militer contre l’article 17 ? On peut en douter. En première lecture, elle avait finalement retiré son amendement de suppression lorsque la ministre des droits de la femme lui avait promit qu’un futur projet de loi viendrait défendre les libertés numériques et fixer les bornes.
De notre côté, on voit mal comment ce futur et hypothétique projet de loi sur le numérique pourra changer la donne sur le projet de loi sur l’égalité. Si ce dernier présente des risques que viendrait corriger la future loi, pourquoi ne pas les rectifier immédiatement ?