Plateformes : le CNNum accepte les atteintes légitimes à la neutralité

Plateformes : le CNNum accepte les atteintes légitimes à la neutralité

Un rapport en quatorze points

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Nil Sanyas

Publié dans

Internet

13/06/2014 9 minutes
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Plateformes : le CNNum accepte les atteintes légitimes à la neutralité

Le Conseil national du numérique (CNNum) vient de remettre son rapport sur la neutralité des plateformes en ligne à Arnaud Montebourg et Axelle Lemaire. Un rapport qui comprend quatorze recommandations réparties en quatre volets afin d'établir des règles claires.

Saisi en juillet 2013 par le gouvernement, le Conseil national du numérique a par la suite organisé de multiples sessions, impliquant une centaine de participants différents, que ce soit des représentants d’autorités publiques, des représentants de plateformes du Net, des concurrents de Google ayant déposé plainte au niveau européen, divers professionnels et entrepreneurs, des avocats, des chercheurs, etc. Suite à ces sessions, un rapport a donc été rédigé et envoyé à Arnaud Montebourg et Axelle Lemaire, respectivement ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique et secrétaire d’État chargée du Numérique.

 

Initialement, le Conseil national du numérique devait répondre à deux questions posées par le gouvernement : la première portant sur la procédure conduite auprès de la Commission européenne vis-à-vis de Google, et la seconde sur la réflexion du conseil sur la neutralité des plateformes. Et par plateformes, on entend ici une définition très large puisque cela concerne tout aussi bien Google que Twitter, Netflix, Amazon, Facebook et même Expedia. Il n'est donc pas question ici de cibler un secteur (la recherche par exemple) mais d'établir des règles générales. Derrière la neutralité des plateformes, celle d'internet est donc partiellement aussi en jeu.

 

CNNum neutralité

 

Le CNNum précise ainsi que ses différentes recommandations visent à « répondre à la saisine à différents horizons d’action et de réflexion. À court terme, rendre effectif le principe de neutralité en utilisant les ressources du droit autant que celles propres aux dynamiques numériques. À moyen terme, organiser et réguler le système des données. À long terme, se doter des moyens de préparer l’avenir en termes de compétences, de connaissances, de créativité, d’innovation et d’expérimentation pour rester compétitif et garantir les éléments de notre souveraineté collective et individuelle. »

La définition de la neutralité du Net

Mais en matière de neutralité, la question de la définition se pose systématiquement. Est-ce celle de certaines associations de type la Quadrature du Net ou de la commission LIBE, qui sont pour une neutralité totale, ou celle de la France, de la commission ITRE ou encore de Neelie Kroes, qui plaident pour des exceptions et des services spécialisés ? Dans son rapport, le CNNum précise sa définition :

 

« La neutralité d’Internet repose sur le principe d’une gestion non discriminatoire des flux d’informations circulant dans ses infrastructures. Elle vise la protection de l’innovation, de la liberté d’expression, et l’accès égal de tous aux informations et services disponibles. »

 

Le pendant de la neutralité d’Internet pour les plateformes ne doit pas seulement viser à protéger le bien-être des consommateurs. Il doit s’attacher à garantir que le rôle de catalyseur d’innovation, de création, d’expression et d’échange d’Internet ne soit pas appauvri par des stratégies de développement aux effets d’enfermement.

 

Elle se matérialise par :

  • La transparence et la loyauté des modes de collecte, de traitement et de restitution de l’information ;
  • La non-discrimination entre les formes d’expression et de contenus partagés ;
  • La non-discrimination des conditions économiques d’accès aux plateformes ;
  • La non-discrimination des conditions d’interopérabilité avec les plateformes ;
  • Une information sans propriétaire. 

Mais tout se trouve dans les détails. Si la définition ci-dessus ne contient pas de points critiquables, dans ses recommandations ou encore ses pistes de réflexion, le CNNum précise par exemple vouloir interdire « toute forme de discrimination à l’égard des acteurs partenaires et usagers, qui ne soit pas justifiée par des impératifs de protection des droits, de qualité du service ou par des raisons économiques légitimes ». Le fait de permettre une justification pour une question de qualité du service est déjà une porte ouverte à de potentiels abus, d'autant que certains membres de la Commission européenne ont déjà tenu un discours similaire.

 

Dans sa quatorzième recommandation, le Conseil national du numérique indique d'ailleurs qu'il faut « porter la conception européenne de la neutralité d’Internet dans les instances de gouvernance internationales et investir activement les espaces ou` se construisent les normes et les protocoles de demain ». Là encore, la question fondamentale est de savoir qu'elle est la conception européenne de la neutralité du Net ? Celle de Neelies Kroes et de l'ITRE, ou celle des députés européens, la première prônant une différenciation des forfaits, contrairement à la seconde qui l'exclu d'une façon plus explicite ?

 

Rajoutons que dans sa recommandation n°9, le CNNum note qu'il faut s’assurer « que les différents mécanismes de classement et d’éditorialisation soient présentés en toute transparence, notamment les mécanismes qui conduisent à écarter spécifiquement certains contenus et informations des espaces de visibilité et à en privilégier d'autres ». Un discours qui indique donc qu'une plateforme peut écarter du contenu si elle le fait « en toute transparence ». Une porte ouverte à l'exclusion de bien des contenus, pour le bonheur des représentants des ayants droit et de l'Hadopi par exemple.

Les quatorze recommandations

Concernant les différentes recommandations du conseil, jugées « prioritaires pour garantir le respect du principe de neutralité dans les écosystèmes de plateformes » et qui pourraient être adoptées par la France au sein de l'Europe, les voici :

 

Volet I - Renforcer l’effectivité des droits sur les plateformes numériques :

  • Recommandation 1 – Mieux utiliser les possibilités du droit existant tout en réduisant l’incertitude juridique et économique
  • Recommandation 2 – S’appuyer sur des agences de notation pour mesurer les niveaux de neutralité
  • Recommandation 3 – Obtenir des garanties de transparence des plateformes à l’égard de leurs usagers et de leurs partenaires : sur les conditions, les tarifs, l'accès au droit, les algorithmes, etc.
  • Recommandation 4 – Obtenir des garanties de soutenabilité du modèle des plateformes : le CNNum indique notamment ici vouloir « instaurer des règles de stabilité vis-à-vis de leur écosystème en intégrant par exemple des délais minimaux d’information préalable pour éviter les évolutions trop brutales, comme en cas de changement de paramètres déterminants pour les activités d’entreprises tierces (changement brusque de CGU ou d’API). »

Volet II - Garantir la loyauté du système des données :

  • Recommandation 5 – Créer une obligation générale de loyauté sur l’utilisation de l’ensemble des données pour aller au-delà du seul principe de finalité
  • Recommandation 6 – Garantir aux usagers la pleine maîtrise des données liées à leurs activités numériques et de leurs conséquences individuelles 
  • Recommandation 7 – Favoriser la fluidité des données : Imposer la portabilité et l’interopérabilité des données Recommandation 8 – Au-delà des données personnelles, faire avancer la réflexion sur le cadre juridique des traces numériques d’usage et la création d’informations dérivées 
  • Recommandation 9 – Considérer que les plateformes ont un rôle de prescripteur qui justifie des exigences accrues de transparence et d’information
  • Recommandation 10 – Mieux appréhender les comportements des plateformes dominantes et les rapports de force avec leurs usagers et leurs partenaires 

Volet III - Pas de compétitivité sans un investissement massif dans les compétences et les connaissances :

  • Recommandation 11 – Développer notre connaissance et notre compréhension de la dynamique du numérique afin de défendre une approche stratégique
  • Recommandation 12 – Mettre cette expertise au service de la littératie numérique des citoyens, des entreprises et des collectivités 

Volet IV - Créer les conditions pour l’émergence d’alternatives :

  • Recommandation 13 – Favoriser le modèle de développement d’un numérique ouvert : maintien de la diversité, mise en place de standards ouverts, etc.
  • Recommandation 14 – Porter au niveau international les valeurs européennes pour la construction d’une société numérique soutenable : respect des principes européens, préserver la pluralité d’opinion et la diversité culturelle, etc.

Le cas Google

Comme indiqué en début d'article, le Conseil national du numérique devait répondre à deux questions, dont l'une portait sur Google et la procédure antitrust en Europe. Le conseil précise dans son rapport avoir « choisi d’inscrire ces préoccupations au sein des considérations applicables à l’ensemble des plateformes » c'est-à-dire dans ses réponses portant sur la deuxième question.

 

 

Le Conseil estime que les procédures européennes contre Google « cristallisent les difficultés d’application des schémas traditionnels du droit aux dynamiques écosystémiques des plateformes ». En ce sens, il « invite à améliorer la compréhension des mécanismes économiques à la source de sa réussite, clarifier les éléments de régulation à mettre en place pour canaliser sa dynamique, afin qu’elle reste au service de l’innovation et des libertés et, enfin, améliorer la détection de ses abus ».

 

Il juge toutefois important de travailler avec le moteur de recherche européen, ceci afin de s'assurer de « son respect des principes de neutralité et de loyauté. Sa stratégie d’anticipation doit également nous inciter à maintenir et développer un niveau élevé d’ambition, en investissant des secteurs tels que la réalité augmentée, les objets connectés, les véhicules autonomes, les systèmes d'information et de traitement massif de données ou l'intelligence artificielle. Ces préoccupations nourrissent l’ensemble des recommandations et doivent justifier une approche plus globale et pérenne que le seul spectre donné par la procédure antitrust conduite devant la Commission européenne. »

Écrit par Nil Sanyas

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Sommaire de l'article

Introduction

La définition de la neutralité du Net

Les quatorze recommandations

Le cas Google

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Commentaires (13)




le CNNum précise par exemple vouloir interdire « toute forme de discrimination à l’égard des acteurs partenaires et usagers, qui ne soit pas justifiée par des impératifs de protection des droits, de qualité du service ou par des raisons économiques légitimes »





« Nous, on est pour que le net soit neutre, sauf lorsqu’il n’est pas neutre. »


Ça existe encore ça la “Neutralité du Net” ?



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En fait, une atteinte légitime, c’est une atteinte qui favorise le business.



Le Net ressemble de plus en plus à une galerie marchande.




raisons économiques légitimes



raisons économiques : je vois ce que c’est.

raisons légitimes : j’ai aussi une idée.

mais raisons économiques légitimes … <img data-src=" /> c’est quand l’économie dicte ses lois ?

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Ce rapport est une énième raison légitime de couper la tête de ces enc








GruntZ a écrit :



raisons économiques : je vois ce que c’est.

raisons légitimes : j’ai aussi une idée.

mais raisons économiques légitimes … <img data-src=" /> c’est quand l’économie dicte ses lois ?

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Je peux répondre à ta question, … si t’as assez de pognon <img data-src=" />





le CNNum précise par exemple vouloir interdire « toute forme de discrimination à l’égard des acteurs partenaires et usagers, qui ne soit pas justifiée par des impératifs de protection des droits, de qualité du service ou par des raisons économiques légitimes »





Comment prouve ton qu’une discrimination n’est pas faite pour des impératifs de qualité du service ? (mis à part un aveu du FAI) <img data-src=" />



J’ai beaucoup beaucoup de mal a imaginer….<img data-src=" />


Le 13/06/2014 à 17h 44

Internet, c’est IP, il s’agit d’être techniquement précis, très, en se basant sur les champs de l’entête d’un paquet IPv4 et IPv6.



Y en a pas 36000….








caesar a écrit :



Comment prouve ton qu’une discrimination n’est pas faite pour des impératifs de qualité du service ? (mis à part un aveu du FAI) <img data-src=" />







Faudrait mettre un DNS menteur qui te dirige vers une page INdiquant qu’il y a une panne en cours <img data-src=" />



Je propose la définition du dictionnaire :



Neutralité <img data-src=" />








GruntZ a écrit :



mais raisons économiques légitimes … <img data-src=" /> c’est quand l’économie dicte ses lois ?

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Certes. Nous sommes dans un modèle capitaliste, disons que c’est peut-être le “moins mauvais” à défaut d’avoir inventé mieux. Dans ce modèle, le fait que l’économie dicte ses lois est l’évidence première, et pas seulement sur le net !..



Il ne tient qu’à vous de proposer alors un “meilleur” modèle économique. <img data-src=" />









GruntZ a écrit :



raisons économiques : je vois ce que c’est.

raisons légitimes : j’ai aussi une idée.

mais raisons économiques légitimes … <img data-src=" /> c’est quand l’économie dicte ses lois ?

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Ben quand un site de vidéos à la <img data-src=" /> pompe tellement de bande passante que soit il faut le laisser ramer soit il faut doubler les liens Cogent (ou autre), la raison économique légitime ça peut permettre de le déprioriser afin de ne pas faire exploser les coûts tout en gardant une qualité de service correcte pour les autres sites bien moins gourmands mais soumis au passage par les mêmes tuyaux.







Bylon a écrit :



Certes. Nous sommes dans un modèle capitaliste, disons que c’est peut-être le “moins mauvais” à défaut d’avoir inventé mieux. Dans ce modèle, le fait que l’économie dicte ses lois est l’évidence première, et pas seulement sur le net !..



Il ne tient qu’à vous de proposer alors un “meilleur” modèle économique. <img data-src=" />





Voilà. De toute façon ya pas de miracle, à un moment soit on agmente le prix de l’abonnement soit on dégrade la qualité de service (et pour limiter cette dégradation un peu de priorisation peut bien aider). Ca choque pas pour les clients pro (pas mal d’hébergeurs proposent le choix entre bande passante premium et bande passante lowcost), je vois pas pourquoi ça choquerait pour les clients non pro, à part parce qu’ils ont été trop longtemps habitués à leur tétine en or massif.









kikoo25 a écrit :



Ben quand un site de vidéos à la <img data-src=" /> pompe tellement de bande passante que soit il faut le laisser ramer soit il faut doubler les liens Cogent (ou autre), la raison économique légitime ça peut permettre de le déprioriser afin de ne pas faire exploser les coûts tout en gardant une qualité de service correcte pour les autres sites bien moins gourmands mais soumis au passage par les mêmes tuyaux.





Il y quand même une différence importante et pas que sémantique entre ne pas “augmenter les tuyaux” et dégrader volontairement certains protocoles ou trafic.



Clair que les sites comme Youtube ou FB posent des soucis car ils représentent une masse énorme de données, et leurs exploitants exercent de grosse pressions sur les gestionnaires de tuyaux. Mais sans les FAI ou les gestionnaires de trafic, ces sites ne peuvent exister. Et inversement, sans ces sites les FAI n’ont pas grand chose à vendre à Mme Michu.



Mais si on ouvre la boîte de Pandore, l’accès à internet sera “à la découpe” comme les forfaits mobiles, alors que les connexions filaires ne répondent pas aux mêmes problèmes techniques.



La solution n’est pas simple, mais s’assoir sur un principe qui peut avoir des retombées économiques énorme me paraît complètement suicidaire.

Si cela arrive, que personne se plaigne que la France ou l’Europe ne possèdent pas de “grands champions du numériques” alors qu’on ouvre grand la porte aux américains.