Montebourg et Lemaire veulent un marché à trois et un respect du plan fibre

Bouygues Telecom en victime parfaite
Mobilité 10 min
Montebourg et Lemaire veulent un marché à trois et un respect du plan fibre
Crédits : LeWeb13 (CC BY 2.0)

Le 3 juin dernier, le ministre Arnaud Montebourg et la secrétaire d'État Axelle Lemaire ont été interrogés par la Commission des Affaires Économiques au Sénat. Le compte-rendu vient d'être dévoilé et nous montre que les sujets abordés ont principalement concerné les acquisitions, la concentration du marché au niveau français et européen, et surtout le plan fibre. Résumé.

Arnaud Montebourg
Crédits : Jackolan1 (licence : CC BY-SA 3.0)

« Les prix baissent, certes, (...) mais au prix de la santé des entreprises et de l'emploi »

Après une période de concentration des opérateurs à la fin des années 1990 et au début des années 2000, le marché télécom a ensuite pris un chemin de croisière, se contentant de nouveaux services et d'augmenter les débits, tout en gardant des prix relativement stables, voire en les augmentant dans certains cas. Mais depuis l'arrivée de Free Mobile il y a deux ans, la situation a changé. La croissance n'est plus au rendez-vous pour la plupart des acteurs et une nouvelle vague de concentration est arrivée. Une situation qui interpelle sans surprise le gouvernement, et en particulier Arnaud Montebourg, le ministre de l'Économie et du Redressement productif et du Numérique.

 

Questionné au Sénat la semaine dernière, le ministre a certes avoué que les baisses de prix dans le secteur mobile étaient une bonne chose pour les consommateurs, mais les conséquences sur le marché global sont bien trop dramatiques pour que cette situation perdure. Selon lui, cela a aussi engendré « les dégâts sociaux, économiques et industriels que nous connaissons : accélération de la délocalisation des centres d'appels ; recherche d'équipements low cost par les opérateurs , arrivée de Huawei sur le marché européen au détriment d'Alcatel, ce qui a entraîné un plan social, même si ce n'en est pas la cause unique ; remise en question du système des services offerts en boutiques, avec des destructions d'emplois ; liquidation de Phone House ; plan social chez SFR, dont on a peu parlé, parce que les indemnisations étaient assez généreuses ; et autre plan à venir chez Bouygues Telecom, qui serait plus important... Beaux résultats ! Les prix baissent, certes, et les consommateurs y gagnent, mais au prix de la santé des entreprises et de l'emploi. » La récente déclaration de Bouygues Telecom de supprimer 1516 postes allant d'ailleurs dans ce sens.

Concentrer les marchés français et européen

Un bilan peu flatteur du socialiste, qui implique une nouvelle distribution des cartes. Pour redonner du pouvoir aux vieux opérateurs, il faut donc passer par des acquisitions et un resserrement du marché. Et Montebourg ne s'en cache pas, « le Gouvernement est favorable à la consolidation autour de trois opérateurs ». Un secret de Polichinelle qu'il tente de défendre : « celle-ci (ndlr : la consolidation à trois) n'est pas synonyme d'entente. Il y eut des ententes à quatre et il peut y avoir de la concurrence à trois. Le maintien de Free exerçant une pression sur les prix, nous favoriserons le renforcement des opérateurs sur le plan national » précise-t-il, ce qui laisse entendre que tout sera fait pour qu'Orange, SFR et Free deviennent plus forts, la période n'étant guère propice à un renforcement de Bouygues Télécom.

 

Mais pour Montebourg, cette logique ne s'arrête pas aux frontières françaises. Il a ainsi déclaré devant la Commission des Affaires Économiques qu'il faut aussi préparer « une consolidation européenne que nous appelons de nos voeux et à laquelle nous travaillons, sans nous immiscer dans les choix stratégiques des opérateurs ». S'il n'est pas rentré dans les détails, on peut toutefois se demander si en coulisse, un rapprochement entre Orange et Deutsche Telekom n'est pas préparé.

 

Selon le ministre, la situation européenne est même pire que le cas français, du fait de son nombre d'acteurs bien trop important. « Combien d'opérateurs pour 300 millions de clients américains ? Disons trois et demi, avec les consolidations en cours. Pour les 800 millions de clients chinois, deux et demi ou trois... Et pour les 400 millions d'Européens ? 120 ! Cette balkanisation, cet émiettement de l'offre affaiblit les opérateurs. Combien d'opérateurs européens sont en bonne santé ? Je ne donne pas de chiffre, mais allez voir leurs comptes et vous constaterez les effets de l'idéologie obsessionnelle de la concurrence, y compris sur les infrastructures ! Cette stratégie européenne ne me convient pas. »

 

Là encore, Montebourg est avare de détails, mais outre le fait de pousser de grands opérateurs à se rapprocher, on peut imaginer que la mutualisation des réseaux sera aussi mise en avant par le gouvernement. Le ministre prend d'ailleurs pour exemple l'avis de l'Autorité de la concurrence qui indiquait l'an passé que s'il fallait conserver la concurrence par les infrastructures, la mutualisation avait des atouts considérables, notamment pour réduire les coûts et améliorer la couverture.

FTTH : « c'est le plus grand chantier d'infrastructures de ce début de siècle »

Concernant le plan fibre qui consiste à déployer la fibre optique sur tout le territoire, Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du Numérique, a tenu à rassurer ses auditeurs alors les craintes de voir ce plan ne pas être appliqué se multiplie : « Remettre en cause ce plan reviendrait à remettre en cause l'engagement du président de la République de déployer la fibre optique d'ici à 2023. Soyons lucides et relativisons ! Dans cette période charnière, les opérateurs doivent être en mesure de continuer à investir. L'État s'est fortement engagé, à hauteur de 3,3 milliards d'euros : c'est le plus grand chantier d'infrastructures de ce début de siècle, le plus grand du quinquennat. Toutes les études montrent que le très haut débit entrainera un gain de valeur économique, de croissance et d'emplois. Il n'est pas question de remettre en question l'engagement de l'État. »

 

Orange FTTH Q1 2014

Orange domine largement les autres opérateurs en matière de FTTH

 

 

Une argumentation suivie par son ministre de tutelle, qui insiste sur la compétitivité de la France, « qui est en jeu ». Le financement public est d'autant plus important que selon Montebourg, le pays doit à la fois faire face à la croissance démographique, mais aussi et surtout aux déplacements de la population. « Dix millions de Français disent vouloir quitter les grandes villes pour vivre à la campagne. Des mutations du monde du travail en découleront, des changements de société, puisqu'il ne s'agit pas que de relier des êtres humains, mais de connecter des milliards d'objets par internet, ce qui entraînera des applications dans tous les domaines de la vie quotidienne. »

Les opérateurs doivent « retrouver leurs marges et nous devons les y aider »

Selon le ministre et la secrétaire d'État, le plan fibre est donc un objectif stratégique majeur qui ne peut être revu à la baisse. La probable mort de Bouygues Telecom et le retour à trois opérateurs pourrait d'ailleurs être l'occasion rêvée pour le gouvernement de pousser un peu plus encore l'investissement dans la fibre optique, quitte à ce que des alliances se créent : « Que demanderons-nous aux opérateurs, en contrepartie de la consolidation à trois ? interroge Arnaud Montebourg. De « pousser les murs », de faire davantage pour les investissements... Soyons intelligents ! Utilisons l'avis de l'Autorité de la concurrence sur la mutualisation des moyens. »

 

Axelle Lemaire n'en dit pas moins et insiste lourdement sur l'importance du plan fibre pour la compétitivité à la fois de l'État et des opérateurs. « Nous l'envisageons sans naïveté : il faut un maximum d'investissements de la part des opérateurs privés. Le plan, je le répète, n'est pas remis en cause. Le Gouvernement reste très vigilant sur les engagements pris par les opérateurs. » Demain, un rendez-vous avec Patrick Drahi, le patron d'Altice et donc de Numericable/SFR, aura d'ailleurs lieu afin d'aborder ce sujet épineux.

 

Pour la secrétaire d'État, si les opérateurs privés doivent investir, ils doivent aussi en avoir les moyens. Ce qui implique de « retrouver leurs marges et nous devons les y aider ». Et la concentration des acteurs est clairement la plus simple des solutions pour atteindre cet objectif, ceci dès lors que le secteur télécom est un marché de coût fixe comme l'a rappelé hier Geoffroy Roux de Bézieux, le président de Virgin Mobile. Et les rapprochements devront tôt ou tard dépasser nos frontières.

 

Concernant les investissements dans la fibre, si certains opérateurs tardent encore à passer la seconde, Axelle Lemaire note tout de même que des efforts ont été réalisés et les investissements ont progressé ces trois dernières années, tout en notant que « cet effort doit être amplifié. Est-ce soutenable, dans un contexte de baisse des revenus ? D'où la question de la mutualisation des infrastructures, essentielle pour que les opérateurs retrouvent les marges nécessaires à leurs investissements. Et que nous encourageons, autant pour le déploiement de la fibre que pour le réseau mobile. Ce problème est circonscrit. Ne le surestimons pas ! »

 

Le scénario semble donc déjà écrit : pour augmenter les marges des opérateurs tout en poussant le plan fibre, deux solutions sont dans les tuyaux : revenir à trois opérateurs et mutualiser au maximum les réseaux fixes et mobiles, notamment dans les zones à faible densité où l'intérêt financier est moindre, voire nul.

« Si nous ne sommes pas capables de couvrir l'ensemble du territoire, c'est que nous sommes manchots ! »

Arnaurd Montebourg explique d'ailleurs que l'union fait la force et que tous ensembles, le plan fibre ne pourra que réussir : « Nous remplirons nos objectifs par l'alliance de tous les acteurs publics - collectivités, État, Europe - et privés. Si avec cela nous ne sommes pas capables de couvrir l'ensemble du territoire français, c'est que nous sommes manchots ! » Le ministre note toutefois que le cas épineux du câble devra être étudié de près et que les problèmes de concurrence sur ce type de réseau seront analysés, répondant ainsi aux demandes d'Orange et Free qui se sont interrogés ces derniers mois sur ce sujet.

 

axelle lemaire

Axelle Lemaire

 

Concernant le risque de fracture numérique, madame Lemaire se dit consciente de la problématique et estime qu'il s'agit non seulement d'une question économique, mais aussi sociale. « Le risque de fracture sociale est moins souvent évoqué. Or, internet est un outil d'insertion sociale et d'accès à l'emploi. Si la part des Français n'ayant pas accès à internet est de 20 %, celle des personnes gagnant moins de 900 euros par mois est de 40 %. »

« Mettre en place une véritable stratégie industrielle »

Autre point intéressant, le secrétaire d'État note que « dire qu'il faut moins jouer sur la concurrence dans les infrastructures dans les territoires déjà pourvus en câble, fibre, cuivre ou 4G ne remet aucunement en cause l'objectif du déploiement complet de la fibre optique à l'horizon 2023 ». Un point crucial alors que le FTTLA de Numericable ou encore le VDSL2 font de l'ombre à la fibre optique jusqu'au foyer (FTTH), ceci alors qu'il ne s'agit que de solutions intermédiaires et à court terme. Tout comme la 4G qui permet d'obtenir d'excellents débits, mais avec des quotas très limités pour le moment.

 

Enfin, Axelle Lemaire explique que l'Europe tout entière doit « mettre en place une véritable stratégie industrielle. Les États doivent en être les principaux relais, face à la Commission européenne qui sera formée à l'automne et aux opérateurs privés. Ce chantier est essentiel pour les 505 millions d'utilisateurs européens de réseaux numériques, surtout quand on sait que les opérateurs américains s'appuient sur un marché équivalent. »

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