Le tribunal de grande instance de Paris a considéré que les anecdotes publiées sur ViedeMerde.fr ne constituaient pas une œuvre collective, privant ainsi l’éditeur du site de la protection juridique afférente. Les juges ont cependant considéré qu’une boite de communication qui se place un peu trop près dans son sillage fait œuvre de parasitisme et doit être sanctionnée de ce fait.
Le site ViedeMerde.fr est ouvert à tous depuis 2008. Il permet à chacun de poster une anecdote personnelle peu glorieuse et humoristique suivie du tag VDM. Les contenus qui y ont été publiés ont inspiré notamment un livre aux éditions Livre de Poche.
Australie, une agence de communication, s’est inspiré de cette initiative pour créer des pubs TV en faveur des biscuits Bahlsen. Dans une de ses pubs, un stagiaire témoignait : « Hier j’étais malade, mon patron m’a appelé pour avoir le mot de passe de ma messagerie. Mon mot de passe c’est… « stage tout pourri » ». Or, sur ViedeMerde.fr, on retrouvait antérieurement cette anecdote : « Aujourd’hui, je suis malade. Mon boss m’appelle pour une urgence au boulot et me demande le mot de passe de mon ordi pour récupérer un e-mail important. Pas le choix, je le lui donne. Mon mot de passe est « job2merde ». VDM ».
Après une vaine tentative de conciliation amiable, Bêta et Compagnie, société qui édite VDM, a réclamé devant le juge la fin de cette campagne.
Vie de merde n’est pas une œuvre collective
Se posait mécaniquement la question de la propriété des messages postés sur Viedemerde. Pour les créateurs du site, pas de doute ce contenu « est une œuvre collective » et cette reprise sans droit, une contrefaçon ou à défaut, un parasitisme.
En face, la société Australie estime la demande infondée, abusive et réclame en substance 50 000 euros de dommages et intérêts.
Le problème se posait donc de savoir si ces anecdotes sont autant de petits bouts d’une « œuvre collective », une œuvre « créée à l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé » (article L113-2 du code de la propriété littéraire et artistique).
Le Tribunal de grande instance de Paris a tranché ce litige le 22 mai 2014 (la décision diffusée sur Legalis.net). À cette fin, il a considéré que les conditions portées par l’article en question ne sont que partiellement remplies. Pourquoi ? Si la condition liée « au fait que l’œuvre est publiée, divulguée et éditée à l’initiative d’une personne et sous sa direction est [bien] remplie », il n’en va pas de même pour « celle relative au nom n’est pas remplie puisque le site s’intitule VDM » et « celle relative au fait que les contributions personnelles se fondent dans l’ensemble n’est pas davantage remplie ».
Sur VDM, en effet, chaque contribution « est publiée sous son nom, son pseudo ou en indiquant qu’elle est anonyme ce qui est encore une façon d’individualiser l’auteur ». Du coup ces contributions ne se fondent pas dans l’ensemble. Finalement, le TGI a considéré irrecevable la demande de Bêta et Compagnie. Celle-ci ne peut « agir en qualité de titulaire des droits patrimoniaux sur le contenu du site. »
Pas d’originalité, pas de contrefaçon
Y-avait-il malgré tout contrefaçon de l’anecdote « job2merde » ? Viedemerde.Fr, qui n’est pas au sommet d’une œuvre collective, n’a davantage produit de contrat de cession des droits d’auteur de l’auteur de la phrase incriminée. De plus, le TGI l’a considérée comme non originale, puisque « la concision du texte et la structure du récit ne révélant rien de la personnalité de l’auteur, seul l’événement relaté ayant un intérêt, et l’idée qu’elle véhicule peut librement être reprise sans commettre d’atteinte au droit d’auteur de celui qui l’a publié. »
Fermant la porte de la protection du droit d’auteur, le TGI constatera au surplus que Viedemerde « n’est d’une part qu’une reprise d’un site américain précédent et un site où chacun poste son message et d’autre part, dont ils ne décrivent aucunement l’originalité. »
Un cas de parasitisme avéré
Pouvait-il y a avoir finalement un acte de parasitisme ? Les juges rappelleront que « le parasitisme est constitué lorsqu’une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements ». L’argument sera cette fois efficace puisque le site « a connu un certain succès » et fait l’objet de plusieurs exploitations économiques avec une cession des droits d’adaptation de ce concept à une société de production (JMD).
Pour les juges, « le format cédé à la société JMD Productions correspond à une valeur économique qui a un prix sur le marché », de plus, « la société Australie a copié cette valeur car elle était à la mode et avait donc toute chance d’attirer un public jeune friand du blog et de la série sans payer la moindre somme à l’auteur économique qui l’a développée ». Il y a donc faute et le juge décidera d’attribuer à Bêta et Compagnie 5 000 euros pour ce préjudice auxquels s’ajouteront 5000 € autres euros pour couvrir les frais du demandeur.