Traiter une entreprise d’arnaqueur sur Internet ou dans le cadre d’une discussion privée n’a pas la même portée. Un internaute qui s’était plaint sur trois sites des services d’une société d’assurance s’est ainsi retrouvé devant la justice pour y répondre de diffamation. Le tribunal de grande instance de Paris a cependant prononcé une relaxe, estimant qu'au regard du contexte, les propos incriminés restaient dans le cadre de la critique, sans aller jusqu’à de la diffamation.
Voilà une histoire comme on peut en retrouver par dizaines sur Internet. En mai 2011, Julien dépose sur trois sites Web des messages dans lesquels il fait part de son mécontentement à l’égard de la société Européenne de Protection Juridique (EPJ). L’internaute reproche à cette dernière d’avoir mal géré son dossier, dans lequel il demandait que soit engagée une procédure de référé à la suite d’un problème de chauffage.
Sur « lesarnaques.com », « ciao.fr » et « droit-finances.net », il lâche ainsi sa colère : « C’est une bande d’arnaqueurs et d’escrocs, très peu enclins à faire leur travail comme défini dans le contrat qui vous liera à eux », « Avant toute chose, n’allez jamais chez EPJ (Groupe generali) », « Les personnes au sein d’EPJ se moquent totalement de vos droits et de la défense de vos intérêts », etc.
Traîné devant la justice pour des commentaires jugés diffamants
Sauf que l’assureur ne laisse pas passer ces messages qui mettent à mal la qualité de ses services. Dès le mois d’août 2011, il dépose une plainte avec constitution de partie civile pour « diffamation publique envers un particulier par un moyen de communication par voie électronique ». Un délit passible de 12 000 euros d’amende, sans compter les éventuels dommages et intérêts.
Finalement, après plus de deux ans de procédure, c’est l’internaute qui a obtenu gain de cause. La 17ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris a en effet décidé le 13 février dernier que les propos litigieux n’étaient pas diffamatoires (voir la décision sur Legalis). Les juges retiennent ainsi que « sur les trois forums de discussion des sites ciao-fr, droit-finances.net et lesarnaques.com, Julien A. fait état, en sa qualité de consommateur, de son mécontentement après avoir fait appel à EPJ », et ce en déplorant notamment « l’inefficacité du prestataire ».
Éventuellement des injures, mais pas de diffamation aux yeux des magistrats
Mais en aucun cas, il n’y avait diffamation aux yeux des magistrats. « Quand il estime qu’il s’est fait « arnaqué et escroqué », le prévenu fait référence de manière subjective au manque de diligence et d’efficacité [du prestataire] et non à de quelconques infractions pénales qui auraient pu être commises par la personne morale. Ces propos ne contiennent donc que la critique, particulièrement vive, des prestations fournies par EPJ » tranche le TGI.
De plus, la juridiction estime que « lorsque Julien A. emploie les termes « partenaire médiocre et malhonnête », « médiocre prestataire », « arnaqueurs » et « lamentable », il n’impute à la société aucun fait précis ». Et ce de telle sorte que même « si ces expressions sont susceptibles de caractériser des injures, celles-ci ne peuvent être absorbées par une diffamation qui n’existe pas dans le reste des messages », concluent les magistrats. En creux, cela signifie que si la société EPJ avait porté plainte pour injures, elle aurait peut-être pu obtenir gain de cause...
Le précédent Free
En octobre 2007, le tribunal de grande instance de Paris avait déjà refusé de condamner un internaute qui avait associé « Free » et le terme « arnaque » dans un forum de discussion dédié à la défense des abonnés. Les juges avaient alors estimé que le contexte de cette affaire justifiait la relaxe du prévenu. En l'occurence, le mis en cause se plaignait d'une interruption de connexion qui avait duré un mois et n’avait été rétablie qu’après l’intervention d’une décision de justice. L’abonné avait également fourni un rapport rédigé par l’Afutt pour l’année 2005, où Free était l’objet de nombreuses plaintes de consommateurs.
Les juges avaient ainsi considéré que « le terme incriminé d'arnaque replacé dans le contexte précédemment décrit ne saurait être considéré comme excédant le droit de libre critique, dans la mesure où il émane d'un client s'exprimant, dans le cadre d'un forum de discussion qui contribue à la liberté d'expression, sur la qualité des produits et services fournis par une société avec laquelle il a contracté et a été en litige ».