Près de deux ans après avoir poussé un accord sur les prix entre Apple et quatre éditeurs de livres numériques, la Commission européenne va-t-elle de nouveau mettre son nez dans une affaire engageant un éditeur ? L'opposition entre Hachette et Amazon outre-Atlantique intéresse en tout cas Joaquin Almunia, le commissaire européen à la concurrence, occupé en ce moment par le cas Google.
La Commission comme épée de Damoclès
La guerre qui oppose Hachette Book Group et Amazon dépasse petit à petit le cadre de l'éditeur, de ses auteurs et du cybermarchand. La semaine dernière, Aurélie Flippetti, la ministre de la Culture et de la communication, avait ainsi fustigé l'américain, trouvant « inacceptables les pratiques d’Amazon (...) Une nouvelle étape a été franchie par le groupe de vente en ligne. Faire du chantage aux éditeurs en restreignant l'accès du public aux livres de leurs catalogues pour leur imposer des conditions commerciales plus dures n'est pas tolérable. »
Dans son communiqué, la ministre avait surtout menacé à demi-mot la boutique en ligne en indiquant souhaiter « que la Commission européenne puisse exercer toute sa vigilance pour prévenir des situations d’abus de position dominante si celles-ci étaient attestées en Europe ». Une épée de Damoclès potentielle soulevée par la ministre, alors que Google négocie depuis plusieurs années pour éviter une amende de plusieurs milliards d'euros.
L'Europe veut d'abord « comprendre » le problème
La Commission européenne, justement, s'intéresse bien à ce conflit. Il n'est pas question pour le moment d'une enquête approfondie et encore moins d'une sanction, mais selon Joaquin Almunia, l'institution essaie « de comprendre ce qui se passe là-bas. Nous regardons et essayons de comprendre » a-t-il ainsi insisté. Il faut dire que si les conséquences de cette opposition sont visibles (délais de trois à quatre semaines, précommande impossible, etc.), les causes restent encore nébuleuses, d'où la répétition du commissaire européen à la concurrence sur la compréhension.
Dans sa première réaction officielle, Amazon a expliqué il y a près de deux semaines que « ces changements sont liés au contrat et à ses conditions entre Hachette et Amazon », sans vraiment plus de précision. Le cybermarchand a tout de même rajouté que « malheureusement, malgré beaucoup de travail des deux côtés, nous avons été incapables de parvenir à un accord mutuellement acceptable ». Selon la presse américaine, l'opposition concernerait les tarifs des ebooks, et l'Américain exploiterait sa position dominante sur Internet pour faire pression sur la branche de l'éditeur français Hachette. Amazon a toutefois concédé qu'il n'était pas optimiste et qu'il ne s'attendait donc pas à ce qu'une solution soit trouvée à court terme.
Dans ce dossier, la condescendance et le sentiment de supériorité de la boutique en ligne ont toutefois transpiré dans sa première réponse. Amazon a ainsi mis en avant son poids financier ainsi que la faible part des livres d'Hachette dans ses ventes. Au point de conseiller aux clients souhaitant recevoir rapidement un livre de l'éditeur d'aller voir en quelque sorte ailleurs. Nous « vous encourageons à acheter une version neuve ou d'occasion de l'un de nos vendeurs tiers ou de l'un de nos concurrents ».
Pas d'intervention
L'institution européenne va-t-elle pour autant lancer une enquête sur ce sujet épineux et intervenir en poussant un accord à l'amiable ou infligeant une amende ? Probablement pas dans ce cas précis. Des experts antitrust interrogés par Reuters estiment que la Commission européenne n'a pas à intervenir, dès lors qu'il s'agit ici d'un conflit commercial, sur le sol américain qui plus est. Néanmoins, si cette guerre venait à dépasser les frontières et à arriver en Europe, la donne pourrait changer.
Il faut tout de même rappeler qu'entre 2011 et 2013, cinq éditeurs grands éditeurs travaillant en Europe, dont Hachette Livre, ont été suspectés par la Commission européenne d’entente illégale sur les prix des livres numériques, ceci en collaboration avec Apple. Après enquête et discussion, un arrangement a été trouvé et des concessions de la part des acteurs visés ont été faites. Un épisode qui prouve qu'Amazon peut être inquiété si ses pressions sur partenaires venaient à dépasser les frontières de la légalité. Les cas sont toutefois très différents. Apple et les éditeurs souhaitaient gonfler les tarifs des ebooks, ceci afin de contrer la politique de prix libres d'Amazon (aux marges parfois faibles).