Alors que les ayants droit américains ont fait pression puis obtenu une riposte graduée « 100 % privée » qui a tout de même envoyé plus de 1,2 million d’avertissements l’année dernière, certaines maisons de disques s’offrent aujourd'hui les services d’une société privée qui transmet en masse des propositions d’arrangement aux abonnés dont l’adresse IP a été repérée sur les réseaux peer-to-peer. Le deal : payer 20 dollars tout de suite ou faire face à des poursuites. Explications.

Imaginez : un jour, votre fournisseur d’accès à Internet vous envoie un email signé d’une société spécialisée dans la lutte contre le piratage. On vous accuse d’avoir téléchargé et mis à disposition une chanson du dernier album des One Direction via un logiciel de peer-to-peer. La date et l’heure du « crime » sont indiquées, de même que le nom du fichier litigieux ainsi que votre adresse IP.
Mais plutôt que de saisir les tribunaux pour un tel acte de contrefaçon (passible en France de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende), on vous propose de conclure un arrangement à l’amiable afin d’oublier cette vilaine histoire. Comment ? En payant immédiatement la somme de 20 dollars. Un lien a d’ailleurs été ajouté dans le courriel, afin que vous puissiez régler au plus vite, par carte bancaire.
Faites votre choix : 20 dollars ou le tribunal
Si un tel scénario a été vainement tenté en France dans le passé, il est cependant une réalité aux États-Unis. En effet, la société Rightscorp, qui travaille pour le compte de grosses maisons de disques telles que BMG ou Warner, aurait déjà envoyé de cette manière plusieurs dizaines de milliers de propositions d’arrangement, comme l’explique ArsTechnica. Le montant du deal, en règle général fixé à 20 dollars par chanson, est là-bas mis en balance avec les 150 000 dollars de dommages et intérêts que peuvent réclamer, par œuvre protégée, les ayants droit lorsqu’il y a violation de leur copyright... Et selon Rightscorp, peu importe qui soit l'auteur du téléchargement (vous, vos enfants, un voisin qui a piraté votre Wi-Fi, etc.).

D’un point de vue technique, le dispositif fonctionne de manière relativement habituelle. Rightscorp identifie sur les réseaux peer-to-peer (BitTorrent, eMule,...) les lignes qui servent à mettre à disposition des internautes des titres appartenant à leurs clients et placés sous surveillance. Un « flashage » des adresses IP est ainsi effectué, comme dans le cadre de notre riposte graduée.
Les FAI collaborent pour l’identification des abonnés mis en cause
Là où les choses sont bien particulières, c’est au moment de l’identification des abonnés se cachant derrière les IP récupérées. La société américaine demande en effet aux fournisseurs d’accès à Internet de transmettre directement à leurs clients mis en cause les fameuses propositions d’arrangement, le tout sans passer par un juge.
Pour cela, Rightscorp s’appuie sur les dispositions du Digital Millennium Copyright Act (DMCA), cette loi américaine de 1998 qui prévoit notamment qu’un opérateur peut perdre la protection dont il bénéficie au titre d’intermédiaire, et ce s’il ne prend pas des mesures contre un client dont les atteintes au copyright sont répétées (par exemple en résiliant son contrat). Du coup, même si l’interprétation des dispositions en question peut prêter à discussion, la société transmet les dossiers d’adresses IP ayant été flashées à plusieurs reprises. Selon ArsTechnica, Rightscorp aurait sur cette base réussi à faire plier plus de 70 FAI américains, dont 5 parmi les plus importants du pays.
Environ 750 000 dollars récupérés en 2013
Et ce business s’avère assez juteux. À partir du chiffre d’affaires 2013 de la firme, nos confrères estiment que les abonnés américains ont déboursé près de 750 000 dollars l’année dernière pour régler de tels litiges. Le tout en sachant que lorsqu’un abonné paye 20 dollars, Rightscorp en reverse 10 à son client ayant droit.
Si les menaces de poursuites de ce style sont monnaies courantes outre-Atlantique ou même en Allemagne notamment, les attaquants étaient jusqu’ici obligés de passer devant la justice pour obtenir l’identification des abonnés mis en cause. Une étape dont a manifestement réussi à s’affranchir Rightscorp, avec les risques que cela peut comporter.