Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, est intervenu ce matin en commission des lois lors de la discussion de la proposition de loi de Guillaume Larrivé sur le terrorisme. Il a donné les positions du gouvernement sur ce texte qui imagine un blocage administratif tout en créant notamment un délit de consultation habituelle de sites terroristes.

Ce texte envisage notamment le blocage administratif des sites et même de l’ensemble des réseaux sociaux (Facebook ou Twitter) lorsqu’ils diffusent des messages terroristes. Il vise aussi à sanctionner pénalement la consultation habituelle des sites de ce genre. Enfin, les députés UMP auteurs de cette proposition veulent encore mettre en place des cyberpatrouilles qui seraient chargées non plus de constater des infractions, mais de les prévenir dans le cadre d’une mission de police administrative.
L’inconstitutionnalité du délit de consultation habituelle des sites terroristes
Cependant, d’ores et déjà on mesure l’inconfort du PS. Sur la consultation habituelle des sites, le ministre de l’Intérieur a relevé que le Conseil d’État, lors de l’examen de la dernière loi antiterroriste, avait considéré cette incrimination « comme constituant une violation disproportionnée à la liberté d’opinion ou de communication » (vidéo).
Il a invité du coup la Commission des lois « à ne pas voter » ce texte mais au contraire d’attendre le projet de loi sur la sécurité présenté en Conseil des ministres d’ici la fin juin. « Elle inclura des dispositions contre les dérives djihadistes. Nous pourrons ainsi réaborder cette question essentielle après avoir fait le tour des aspects juridiques de manière à être sûrs de ne pas être retoqués. »
« La procrastination n’est pas une solution » rétorquera un peu plus tard Guillaume Larrivé, rapporteur du texte. Philippe Goujon, autre UMP, estime lui aussi qu’il y a urgence. En résumé, on ne peut se payer le luxe d’attendre un futur texte dont on ne connait pas l’agenda à l’Assemblée nationale.
Pression des États-Unis et l’Union européenne sur les FAI
Au regard du blocage administratif, et donc sans juge, le ministre a rappelé les limites de ces mesures. « Il est fort probable que le blocage conduise immédiatement à la création de ces miroirs, et ce sera un travail sans fin. Mais nous devons tout de même regarder cette question » temporisera-t-il.
Comment ? Des discussions ont eu lieu le 8 mai à Bruxelles. Elles se poursuivront demain comme on peut le voir sur le site de la Commission européenne.
Mais que cachent ces négociations de hautes sphères ? D’après le ministre, l’enjeu est de conduire « des actions à destination des FAI. Nous pensons que si l’Union européenne en liaison avec les États-Unis conduisent une démarche à destination des grands opérateurs acteurs Internet les sensibilisant sur les risques qui s’attachent à la diffusion d’images, de vidéos, d’éléments de propagande sur Internet, nous pourrions avoir une action plus efficace que celle conduite jusqu’à présent ».
Selon lui, encore, « cette pression exercée par toute l’Union européenne et les États-Unis sur les acteurs internet pourrait poser en d’autres termes la question du blocage des sites ». Les grands opérateurs seront entendus à la fin du mois à la Commission européenne. Ils savent d’ores et déjà que d’autres oreilles seront attentives si cette brèche est ouverte...
Blocage des sites : pas de compensation pour les FAI
Toujours sur le blocage des sites, Bernard Cazeneuve reconnait rencontrer des difficultés de mises en œuvre franco-françaises. La faute, pour ainsi dire, au Conseil constitutionnel qui « considère que le blocage de ces sites qui relève de logique d’ordre public, doit faire l’objet d’une compensation financière de l’État aux fournisseurs d’accès, ce qui pourrait représenter une mobilisation de fonds significative. »
Or, le locataire de la place Beauvau « ne voit aucune raison de mobiliser des moyens publics en compensation de la diffusion de phénomène, d’actes, d’images par les FAI. Nous négocions avec [ces opérateurs] pour que ceux-ci se conforment au droit sans qu’aucune contrepartie ne soit mobilisée par nos soins. Nous négocions actuellement durement avec eux ». Il répètera sa position : « Je ne vois aucune raison pour l’État de payer des FAI qui fournissent des éléments illégaux, gravement illicites. Dès lors que ces éléments sont illicites et leur sont signalés, ils doivent tout simplement ne pas les diffuser ».
Sergio Coronado prendra ces explications avec des pincettes. L'élu écologiste se souviendra combien est périlleuse la question du blocage administratif des sites pédopornographiques dont les décrets d’application n’ont toujours pas été diffusés, trois ans après le vote de cette mesure si urgente.
L’hypocrisie des intermédiaires, selon Jean-Jacques Urvoas
Une autre disposition de la proposition vise à accentuer l’attention des intermédiaires techniques sur les contenus liés au terrorisme. À ce jour, pour une série d’infractions déterminées (crimes contre l'humanité, incitation à la haine raciale, pornographie enfantine, l'incitation à la violence), FAI et hébergeurs doivent mettre en place un dispositif d’alerte pour que quiconque puisse porter à leur connaissance ce type de données. Sous peine de sanctions, ils doivent alors nettoyer d’instinct les faits manifestement illicites tout en informant « promptement » les autorités publiques compétentes.

Le ministre de l’Intérieur est chaudement favorable à l’extension de cette responsabilité aux faits de terrorismes. Sur ce point, Jean Jacques Urvoas, le président de la commission des lois considère lui aussi que cette « extension de cette contrainte devient la seule manière de répondre à ce qu’il faut bien appeler une hypocrisie des FAI qui se cachent derrière des notions qui n’ont plus lieu d’être. »
Mélangeant rapidement le rôle des FAI avec celui des hébergeurs, il assure qu’« en passant deux ou trois filtres vous pouvez, sans difficulté, tomber sur des vidéos de décapitation sur YouTube. Donc avec un minimum d’exigence, les FAI ont les moyens d’avoir connaissance de ce qu’ils diffusent. Comme ils se cachent derrière un paravent de vertu, je pense qu’il y a un moment où la loi doit les contraindre. » Autant dire que cette mesure qui accentue à nouveau la responsabilité des intermédiaires sera bien reprise dans le futur projet de loi de Bernard Cazeneuve.