Depuis le début du mois, pour des raisons qui restaient encore floues, la filiale américaine de l'éditeur français Hachette et le géant Amazon se livrent une véritable guerre. Le second est ainsi accusé par le premier de le désavantager et de livrer tardivement ses livres, avec parfois un délai d'attente de plusieurs semaines. La faute à un accord commercial qui tarde à être signé. Amazon, muet jusqu'à hier, a toutefois enfin donné son point de vue par l'intermédiaire de son forum.
Les longs délais pour certains titres de James Patterson, édité par Vision (marque d'Hachette)
Des délais volontairement exagérés ?
Depuis quelques semaines, les plaintes de la filiale américaine d'Hachette ainsi que de ses écrivains se multiplient. Il faut dire que certains titres de l'éditeur sont tout d'un coup devenus indisponibles sur Amazon et d'autres annoncent des délais de livraison totalement anormaux. Pire encore, certains titres sont plus onéreux qu'à l'habitude et le revendeur n'hésite pas à proposer des livres dits similaires, mais moins coûteux. Pendant un temps, faute d'information précise, la seule explication donnée était celle d'une forme de sanction, du fait d'un désaccord avec l'éditeur.
Rapidement, Sophie Cottrel, porte-parole d'Hachette, a commencé à tirer à boulets rouges sur Amazon. Elle a dans un premier temps expliqué au New York Times que son groupe a « posé des questions légitimes sur les raisons pour lesquelles nos ouvrages sont indiqués comme indisponibles, avec des délais d'expédition relativement longs, constatés sur le site d'Amazon, alors que leur disponibilité est immédiate sur d'autres sites et en boutiques. (...) Nous répondons à toutes les commandes d'Amazon rapidement. (...) Amazon dispose de peu de stocks. »
Un peu plus tard, face aux critiques de plus en plus vives des auteurs, la porte-parole a déclaré que sa société mettait « tout en œuvre pour remédier à cette situation difficile. Nous recherchons une solution qui serve au mieux nos auteurs et leurs œuvres et qui nous permette de survivre et de prospérer en tant que maison d’édition forte axée sur ses auteurs. »
Enfin, il y a quelques jours, Michael Pietsch, le patron de Hachette Book Group, a envoyé un courrier à ses auteurs pour s'excuser de la situation : « Je suis désolé de vous dire que, désormais, Amazon a supprimé la possibilité de précommander les publications de Hachette Book Group. (...) Sachez que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour trouver une solution à cette situation difficile. »
« Nous ne sommes pas optimistes sur le fait que cela sera bientôt résolu »
Refusant de répondre aux critiques et aux attaques de l'éditeur, Amazon est toutefois sorti de son mutisme hier pour la toute première fois. Confirmant qu'il commande moins de livres d'Hachette qu'à l'accoutumée et qu'il n'y a plus de précommandes pour leurs prochains titres, le cybermarchand américain précise que « ces changements sont liés au contrat et à ses conditions entre Hachette et Amazon », contrat dont les détails demeurent bien évidemment secrets.
La boutique rajoute cependant qu'elle est en relation avec plus de 70 000 fournisseurs, dont plusieurs milliers d'éditeurs de livres. « Un de nos fournisseurs importants est Hachette, qui fait partie d'un conglomérat qui pèse plus de 10 milliards de dollars (ndlr, le groupe Lagardère). Malheureusement, malgré beaucoup de travail des deux côtés, nous avons été incapables de parvenir à un accord mutuellement acceptable. » Jugeant de bonne foi la direction d'Hachette, Amazon note toutefois qu'aucune solution n'a pour l'instant été trouvée, et même s'il garde espoir, « nous ne sommes pas optimistes sur le fait que cela sera bientôt résolu ».
Amazon gonfle ses muscles et montre qui est le plus fort
Expliquant que trouver des conditions équitables avec ses partenaires est un objectif majeur, Amazon prend surtout bien soin de rappeler quel est le rapport de force entre lui et l'éditeur. Il précise ainsi que son conflit avec Hachette n'affecte qu'un « petit pourcentage de la demande (...) Si vous commandez 1 000 articles chez Amazon, 989 ne seront pas affectés par cette interruption. Si vous avez besoin rapidement d'un des titres touchés, nous regrettons la gêne occasionnée et vous encourageons à acheter une version neuve ou d'occasion de l'un de nos vendeurs tiers ou de l'un de nos concurrents. » Pour la boutique en ligne, la seule solution pour obtenir dans de courts délais un titre d'Hachette est donc tout simplement d'aller voir ailleurs.
Et afin de prouver que l'éditeur ne fait guère d'effort, Amazon rajoute qu'il lui a offert la possibilité de créer à 50/50 une sorte de fonds d'indemnisation pour les auteurs touchés par ce conflit. Une solution qui a déjà été utilisée dans le passé avec l'éditeur Macmillan, suite à une longue opposition plus ou moins similaire il y a quatre ans. Amazon espère que l'éditeur suivra le même chemin.
« La stratégie d'Amazon est conçue pour montrer sa domination du marché »
Notons enfin que The Authors Guild, une organisation composée de milliers d'auteurs de livres américains, prend fait et cause pour Hachette et estime que le cybermarchand fait preuve d'un chantage manifeste. « Cela semble être la stratégie de négociation d'Amazon. (...) La stratégie d'Amazon est conçue à la fois pour montrer sa domination du marché et creuser un fossé entre Hachette et ses auteurs. »
Ce point de vue n'est toutefois pas partagé par tous. Amazon prend par exemple le cas de Martin Shepard, créateur de The Permanent Press, qui estime que si un grand éditeur affronte le géant américain, cela peut être positif pour les éditeurs plus petits et indépendants. Mais au bout d'un certain temps, après diverses recherches, Shepard s'est aussi rendu compte que certains arguments anti-Amazon étaient tout simplement faux. « Cela me donne envie de me lever pour Jeff Bezos (ndlr : PDG du cybermarchand) et Amazon, et présenter un point de vue très différent, qui, je l'espère équilibrera ce que je considère être de la propagande flagrante. »
En effet, si dans le passé Amazon a prouvé qu'il était capable d'imposer certaines de ses règles à ses partenaires, ceci afin d'avantager ses propres services (ebooks, etc.) et augmenter ses marges, il ne faut pas non plus faire passer Hachette pour un faible et petit éditeur ni pour une organisation sans but lucratif...