Peut-on légalement éditer un logiciel qui permet d’enregistrer le flux streaming de Deezer ? La plateforme estime que non. Elle avait poursuivi à cette fin, avec d’autres ayants droit, l’auteur du logiciel Tubemaster++. L’affaire avait été jugée l’an passé, mais nous venons d’avoir copie de ce jugement important du tribunal correctionnel de Nîmes.
Un étudiant informatique de l’école Sup Info de Montpellier avait conçu le logiciel TubeMaster++, capable d'enregistrer les flux de Deezer et d'autres flux en streaming. L’avocat de la plateforme nous confiait l’an passé que ce logiciel avait cassé le DRM du service de streaming musical et générait à cette occasion plusieurs violations dans le Code pénal et celui de la propriété intellectuelle. « On est à la fois sur une violation du Code pénal puisqu’il y a eu une introduction frauduleuse quand ce pirate s’est connecté sur Deezer, a donc repris l’ensemble du code source et a détourné le DRM. Il y a des infractions spécifiques au Code de la propriété intellectuelle, à savoir la fabrication et la mise à disposition d’un logiciel qui contourne les mesures de sécurité. »
De son côté, si Jérôme, le prévenu, admettait un temps un « détournement de la protection de Deezer », il considérait depuis que son système était parfaitement légal. « Mon logiciel ne fait en soit rien d’illégal. Ce qu’il l’est, c’est son utilisation détournée par un utilisateur ». Faisant état d’un « défi technique » à relever, il soulignait avoir été l’un des premiers à mettre à disposition une telle solution permettant « l’enregistrement de fichier en streaming sur Internet. »
Il contestait en outre toute atteinte au système de traitement automatisé de la plateforme musicale. « Mon logiciel ne rentre pas dans le système, mais effectue une analyse des flux de données sortants ». Nuance. Dans tous les cas, il ne voit pas « pourquoi on ne pourrait pas télécharger [les fichiers en streaming] » si ceux-ci sont diffusés légalement.
Protection juridique d’une protection technique qui n’est plus efficace ?
En pratique, son logiciel allait « charger sur le player officiel la clé pour mettre au clair les données et les capturer les rendant ainsi accessibles ». Or, depuis la loi DADVSI, l’article 335-3-1 du Code de la propriété intellectuelle punit jusqu’à 3 750 euros d'amende le fait de porter atteinte sciemment à « une mesure technique efficace » pour contourner la protection d'une œuvre.
L’une des questions soulevées par cette affaire venait à se demander si la protection installée par Deezer était bien « efficace » alors qu’un jeune développeur était parvenu à la contourner. Bref : cette protection technique méritait-elle toujours protection juridique ?
Le tribunal correctionnel de Nîmes a répondu par l’affirmative. « Tout démontre au contraire, du défi technique au temps passé par les techniciens à remédier à la faille de sécurité du site Deezer.com, qu’il a fallu un certain temps à Jérôme et sans doute une certaine habilité, pour contourner la protection initialement mise en place ». Au contraire, « la simple nécessité de créer un logiciel contournant la protection mise en place sur le site de Deezer.com caractérise le caractère efficace de cette protection primitive. »
Pour esquiver la condamnation, le demandeur évoquera la nécessaire interopérabilité « des différents supports matériels de lecture des œuvres ». Argument rejeté par le tribunal, l’interopérabilité ne devant être mise en œuvre que dans le respect des œuvres, ce qui fait défaut ici. Autre bouclier brandi, la recherche informatique. Mais le tribunal ressortira cette fois la décision du Conseil constitutionnel sur la loi DADVSI : cette exception s’entend de la seule recherche en cryptographie, et dans tous les cas ne doit pas porter préjudice aux titulaires de droits.
L’amendement Vivendi
Dans ce contexte, le prévenu était encore accusé de s’être introduit et maintenu frauduleusement dans le système de Deezer. Il avait en fait récupéré les clefs dans le player de la plateforme, ce qui témoigne d'une interprétation large des textes comme l'a noté récemment la revue LexiNexis.
Enfin, il aurait violé les dispositions issues de l’amendement Vivendi. Fruits de la loi DADVSI, là encore, elles sanctionnent de trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende le fait d’éditer ou de mettre à disposition de tous « un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'oeuvres ou d'objets protégés. »
Le tribunal estimera encore une fois toutes les conditions des incriminations parfaitement remplies : voilà un logiciel diffusé en plusieurs langues, qui passe les protections de Deezer, afin d’avoir accès aux œuvres, sans accord de l’exploitant.
Au final, ce 28 juin 2013, l’auteur de Tubemaster++, jeune étudiant, sera condamné à une amende de 15 000 euros, assortie d’un sursis simple. Il devra cependant dédommager la SACEM, la SDRM et la SCPP de 5000 euros chacun (soit 15 000 euros). Il devra spécialement verser à Blogmusik, éditeur de Deezer, 7285,02 euros correspondant aux 105 heures de travail des développeurs appelés à patcher le site. Auxquels s'ajoutent 5 000 euros pour le préjudice moral « justifié par la diffusion sur internet du logiciel et la publicité faite sur de nombreux sites à son sujet. »
L’étudiant a fait depuis appel de la décision qui devra donc être rejugée dans son intégralité.