La dizaine d'agents de police et de gendarmerie aux manettes derrière la plateforme Pharos ont transmis en 2012 « des milliers » de signalements aux services compétents à des fins d'enquête, parmi les 120 000 reçus cette année-là. C’est en tout cas ce qui ressort d’une réponse écrite du ministère de l’Intérieur, qui reste plus que jamais flou et discret sur l’efficacité de ce dispositif pourtant récemment questionnée à l’Assemblée nationale.

Depuis 2009, le site « www.internet-signalement.gouv.fr » permet à n’importe quel internaute de signaler aux autorités un contenu ou un comportement qui pourrait s’avérer illicite : une vidéo sur YouTube dans laquelle on voit un chauffard rouler à toute vitesse sur une nationale, propos racistes ou antisémites sur un blog, images pédopornographiques, etc. Car, derrière ce dispositif, se cachent des policiers et gendarmes travaillant au sein de l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC). Le nom de cette fameuse plateforme ? Pharos, pour « Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements ».
Une fois les autorités averties, celles-ci commencent par vérifier que le signalement correspond bien à des actes répréhensibles. Ensuite, les agents peuvent, s’ils l’estiment nécessaire, saisir le service compétent en vue d’une éventuelle enquête : police, douanes, Interpol,...
@Ellasgt Les tentatives d'arnaques par mail peuvent être signalées sur la plateforme #Pharos https://t.co/3OIQsQlhih
— Police Nationale (@PNationale) 21 Mai 2014
Sauf que si l'OCLCTIC se fait transparent sur le nombre de signalements reçus chaque année par les agents de la plateforme Pharos, il n’en va pas de même concernant les suites qui y sont données. On sait ainsi que de 53 000 signalements en 2009, on est passé à 100 000 dès 2011, puis à presque 124 000 l’année dernière.
Combien de ces signalements ont été transmis aux différents services ? Combien d’enquêtes ont ainsi été ouvertes ? Combien d'enquêtes ont donné lieu à une mise en examen, voire à une condamnation ? Voilà autant de questions auxquelles la Place Beauvau a toujours refusé de répondre, lorsque nous l’avons sollicitée.
Le flou sur les « milliers » de signalements transmis pour enquête en 2012
Néanmoins, au travers d’une réponse à une question parlementaire parue cette semaine au Journal Officiel, le ministère de l’Intérieur indique que suite aux 120 000 signalements reçus en 2012 par Pharos, « des milliers [de dossiers] ont été transmis pour enquête aux services répressifs français et à Interpol ». Autrement dit, au moins 2 000 cas ont été envoyés à des unités de police compétentes. Mais l’imprécision de l’exécutif laisse à penser que ce chiffre pourrait être bien plus important. On ne sait en outre pas non plus combien d’enquêtes ont réellement été ouvertes suite à ces milliers de signalements...
À titre de comparaison, 1 300 dossiers ont été transmis pour enquête entre janvier et septembre 2013, suite à 9 517 signalements concernant des cas de racisme ou de discrimination (provocations publiques à la haine, à la discrimination ou à la violence, diffamations et injures raciales...). Des chiffres très partiels, et eux aussi dévoilés dans une précédente réponse écrite (voir notre article).
25 000 signalements pour du phishing en 2013
Autre information donnée cette semaine par la Place Beauvau : sur les 123 987 signalements reçus par Pharos en 2013, « près de 25 000 » concernaient des cas de « phishing » - ou hameçonnage, en français. Le principe ? Une personne malintentionnée se fait passer, souvent au travers d’un courriel, pour un organisme tel qu’une banque ou une administration (impôts, CAF,...). La cible est invitée à se rendre sur un site Internet imitant cette institution et à y déposer des informations confidentielles (identifiants bancaires, etc.), l’objectif étant essentiellement de pouvoir ensuite dérober de l’argent à la victime.
À propos du phishing justement, les services du « Premier flic de France » poursuivent en expliquant que « les adresses signalées sont répercutées vers les éditeurs de logiciels de navigation sur Internet, afin que leurs utilisateurs soient automatiquement alertés lorsqu'ils sont confrontés à des sites de « phishing ». »
Il est indispensable de « renforcer l'arsenal juridique » relatif à la cybercriminalité
Après avoir souligné que, d’une manière plus générale, « une prévention efficace de la cyberdélinquance passe en tout état de cause d'abord par une sensibilisation des internautes, qui doivent, au quotidien, faire preuve de vigilance », le ministère de l’Intérieur affirme ensuite que le gouvernement a malgré tout « engagé une adaptation du dispositif de lutte contre la cybercriminalité ».
« Il est en effet indispensable de « monter en gamme », de renforcer l'arsenal juridique et de faire évoluer les organisations » soutient ainsi la Place Beauvau. Il est ici fait référence au groupe de travail interministériel lancé l’été dernier à propos de la cybercriminalité, et dont les conclusions ne sont toujours pas connues. Initialement prévue pour novembre, puis pour mi-février, puis pour le mois de mars, la publication de ce rapport attendu n’est toujours à l’ordre du jour... Contacté la semaine dernière à ce sujet, le ministère de la Justice n'a pas pu nous renseigner.
Le ministère de l'Intérieur précise néanmoins que les travaux de ce groupe de travail « sont achevés » et assure que le fameux rapport « devrait prochainement être remis ». Les propositions qu'il contiendra pourrait d'ailleurs inspirer grandement la future loi sur le numérique préparée par l'exécutif, et qui devrait arriver devant le Parlement d'ici début 2015.