La fondation Terra Nova, traditionnellement située à gauche, a publié aujourd’hui un rapport intitulé « Numérique : renouer avec les valeurs progressistes et dynamiser la croissance ». Ce document formule 123 propositions destinées à combler le retard pris par la France en matière de numérique. Sont notamment sur la table : une revalorisation des pouvoirs de la CNIL, l'inscription de la neutralité du net dans la loi, la mise en place d'une licence « créative », la fin du volet répressif de la Hadopi, etc.
Le rapport (PDF) de la fondation Terra Nova commence par déplorer le « manque d’ambition » de la France en matière de numérique. Jacques Attali - ancien conseiller de François Mitterrand ayant également présidé la Commission pour la libération de la croissance française, voulue par le président Sarkozy en 2007 - regrette ainsi dans la préface « le manque chronique de volonté politique lorsqu’il s’agit du numérique ». Il réclame au contraire une « stratégie politique de développement du numérique à l’échelle nationale ». Pour lui, « le numérique est une urgence politique », notamment en ce que ce secteur présente des « opportunités inestimables » pour la France.
En plein contexte de croissance économique morose, le rapport de Terra Nova décline tout d'abord un panel de propositions visant à soutenir tout particulièrement les TPE et les PME, notamment grâce à des incitations fiscales. La proposition numéro 5 en appelle quant à elle à la mise en place d’un « programme à l’échelle européenne visant à encourager les PME à s’engager dans le Cloud Computing », tandis que la suivante prône la création de « guichets uniques régionaux permettant d'orienter efficacement les entrepreneurs et de simplifier leurs démarches administratives ».
La fondation propose ensuite de faire évoluer le cadre juridique de la propriété intellectuelle. Réclamant la promotion de « nouveaux modèles », Terra Nova prône par exemple la « mixité des modèles de développement logiciel, en accompagnant l’usage des logiciels libres ». En matière de droit d’auteur, le rapport de la fondation suggère que le débat soit rouvert, notamment sur « sa durée, et les conditions de passage dans le domaine public », et ce dans une optique « de maîtrise et de réduction ».
Dans sa proposition 24, Terra Nova demande le renforcement du dispositif d’Open Data Etalab, ainsi que l’élargissement de ses bases, par exemple à l’INSEE. La proposition 50 veut par ailleurs que les données publiques soient ouvertes à tous les niveaux de l’État, et ce afin de les mettre « à disposition de tous dans un objectif d’innovation partagée ».
Gestion collective et licence globale
Selon le rapport de la fondation, « l’industrie musicale s’est laissée dépasser par le numérique ». Afin de « l’adapter aux nouveaux circuits culturels actuels », il conviendrait de « favoriser des mécanismes de gestion collective des droits d’auteur, et d’encourager une plus grande redistribution par le biais d'instances existantes comme la SACEM », retient le rapport.
Et en dehors de ses préconisations concernant l’offre légale, commerciale, Terra Nova dessine les contours d’une « licence créative » : cette dernière « nécessite un mécanisme de financement a priori, forfaitisé et globalisé sur l’ensemble des utilisateurs potentiels, écrit la fondation (...). Les évaluations actuelles suggèrent une contribution de 2 à 7€ par mois et par internaute, qui permettrait de compenser la perte complète de chiffre d’affaires des acteurs des domaines culturels ». Terra Nova indique ainsi vouloir créer un « droit positif d’usage, hors de tout contexte commercial ou rémunérateur, qui sécurisera les utilisateurs dans leurs échanges sans but lucratif, sans faire obstacle au maintien du droit actuel pour les usages commerciaux ».
Fin du volet répressif de la Hadopi
Concernant la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, le rapport de la fondation ne demande pas une suppression en bloc de l’institution, mais plutôt aux parlementaires de « légiférer pour arrêter l’action répressive de l’Hadopi et redévelopper au sein de la CNIL, garante des libertés individuelles, des missions de suivi de l'usage des œuvres (comptage anonyme des échanges ou téléchargement...) ».
Transformer la CNIL en Autorité de Protection des Libertés Numériques
Le rapport de la fondation met d'ailleurs un accent particulier sur la protection des données personnelles et sur le rôle de la CNIL. Certaines mesures visent notamment à mieux sensibiliser le public (intégration de la question dans les cursus scolaires dès le CM2), tandis que d’autres sont bien plus précises, tendant par exemple à ce que le secret des correspondances soit garanti sur Internet. La proposition 90 demande ainsi que la législation française soit modifiée « si besoin est », afin d’interdire « aux opérateurs d’Internet de scanner le contenu des mails envoyés ou reçus à partir d’un service de communication offert au public et en particulier dans un but publicitaire et sanctionner pénalement toute pratique contraire à cette règle ».
Terra Nova sollicite en outre un renforcement de la CNIL, via un accroissement de ses pouvoirs (possibilité de prononcer une amende représentant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires réalisé sur le territoire français), et une modification de son statut juridique. La fondation prône en effet « un ancrage territorial » de la CNIL, qui s’opérerait grâce à un processus de déconcentration de ses services. Selon les vœux de Terra Nova, l’autorité administrative se transformerait en Autorité de Protection des Libertés Numériques (APLiN) « en rapprochant et réaffectant les moyens, ainsi qu'une part maintenue des missions de l’Hadopi ».
Neutralité du net et des moteurs
La proposition numéro 33 concerne la neutralité des réseaux, et réclame plus particulièrement que soient posés dans la loi « les grands principes protecteurs de la neutralité et de la liberté d'usage du net (accès sans discrimination, liberté d'accès sauf privation judiciaire...) ». Rappelons à cet égard qu’au sein de l’Union européenne, seuls les Pays-Bas ont inscrit ce principe dans la loi, en mai dernier.
Il est également question de neutralité des moteurs de recherche, puisque la fondation retient qu’il faut « oeuvrer pour l’objectivité et l’absence de discrimination volontaire de l’algorithme [de ces derniers] dans l’accès à l’information qui est un bien public et dans le classement des sites ». Il est également suggéré, dans cette même proposition (n°34), que les pouvoirs publics incitent « les moteurs de recherche à rémunérer équitablement les entreprises de presse écrite dont elles utilisent les contenus et garantir que ceux-ci seront classés en fonction de la pertinence de l’information et non de la relation contractuelle avec le moteur ».