Éveil au codage dès l'école primaire, consécration du principe de neutralité du Net, modification de la législation européenne relative aux données personnelles, création d’un « Nasdaq européen », accélération de l’Open Data... Les pistes des députées Corinne Erhel et Laure de La Raudière ne manquent pas pour « enclencher la conversion numérique » de la France et favoriser ainsi le développement économique de notre pays. Petit tour d’horizon du rapport présenté aujourd'hui par les deux parlementaires.
Corinne Erhel et Laure de La Raudière, respectivement députées socialiste et UMP, ont présenté ce matin devant la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale les conclusions de la mission d’information qui leur avait été confiée en mars 2013 à propos du développement de l’économie numérique (voir ici). Leur objectif ? Esquisser des pistes afin de « faire en sorte que la France tire parti des transformations numériques à venir ». Car l’état des lieux dressé par ces parlementaires spécialistes des dossiers « numériques » se veut relativement négatif : « l’Europe est en retard » écrivent-elles, s’appuyant par exemple sur le fait que « 83 % de la capitalisation boursière des entreprises Internet concerne des firmes américaines et seulement un peu plus de 2 % des entreprises européennes ».
Des « lacunes » et de « précieux atouts » pour la France
Les deux parlementaires poursuivent en expliquant que « la France pâtit également d’importantes lacunes ». Lesquelles ? Selon Corinne Erhel et Laure de La Raudière, notre pays souffre surtout d’une « certaine frilosité à l’égard de la disruption, de la prise de risque et de l’innovation radicale ». Ce frein est donc « culturel », et même « plutôt récent » d’après les deux députées. Elles regrettent d’ailleurs que l’État ait « tendance à considérer le numérique comme une filière autonome, oubliant ainsi que le numérique irrigue tous les secteurs de l’économie, bouleversant tous les codes et toutes nos habitudes ». Aussi, les élues affirment que nos « élites souffrent d’une méconnaissance globale des enjeux du numérique et des nouvelles stratégies de création de valeur, et peinent à identifier les réponses adaptées, alors que nos politiques publiques soutiennent parfois encore des industries en déclin ».
Mais tout n’est pas noir pour autant... « La France dispose également de précieux atouts » rassurent les parlementaires, en référence notamment aux infrastructures hexagonales, à son « vivier de jeunes entrepreneurs talentueux », et aux start-ups nées sur notre territoire ces dernières années : Dailymotion, Deezer, Parrot, Priceminister, Vente-privee.com, etc.
« Bâtir un nouveau projet de société » grâce au numérique
Le rapport de Corinne Erhel et Laure de La Raudière ambitionne néanmoins de « réinventer la politique économique et d’élever le débat autour du numérique au niveau national, afin de fédérer l’ensemble de la population autour de la conversion numérique de la société ». Les députées estiment que « les citoyens doivent sentir que le numérique est à leur service, et constitue une chance d’améliorer leur quotidien. Il ne s’agit pas de faire de la France un pays de geeks et d’ingénieurs informaticiens mais bien de bâtir un nouveau projet de société, fondé sur le désir de progrès et d’innovation ».
Agir sur la formation et la « prospection »
Pour cela, les parlementaires misent sur deux principaux leviers. Le premier : la formation. « Il faut former au numérique, d’une part pour apprendre à chacun à se mouvoir dans un monde nouveau, d’autre part afin de préparer aux métiers de demain, alors même que nombre d’entreprises peinent aujourd’hui à recruter des développeurs pour poursuivre leur croissance » expliquent-elles. Erhel et de La Raudière préconisent ainsi « de mettre en place des sessions d’éveil au codage dès l’école primaire, et de rendre obligatoire l’enseignement de l’informatique dans le cycle secondaire », c’est-à-dire au collège et au lycée. S’agissant de l’enseignement supérieur, les deux députées estiment qu’il faut « faciliter la création de nouveaux diplômes », par exemple afin de former massivement des analystes de données (data scientists).
Le second levier est d’ordre « prospectif ». D’après les parlementaires, « il faut poursuivre le mouvement de simplification du droit afin de faciliter la vie des entreprises, de la création à la croissance internationale. Plus précisément, il est indispensable d’assurer le financement des entreprises du numérique, en renouvelant les outils d’intervention publique, en renforçant l’industrie du capital-risque par exemple par la création de fonds paneuropéens, et en construisant une Bourse européenne spécialisée sur les nouvelles technologies – un Nasdaq européen. Enfin, les filières les plus prometteuses – objets connectés, cloud computing, big data – doivent être accompagnées » retiennent-elles.
L’État, les collectivités territoriales et les autres établissements publics sont d’ailleurs invités à « s’emparer de quelques dossiers symboliques pour montrer la voie », par exemple en consacrant le principe d’ouverture par défaut des données publiques (Open Data).
Un large panel de propositions
« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace... » Tel est le titre de la seconde partie du rapport de Corinne Erhel et Laure de La Raudière, qui, après avoir dressé un état des lieux, s’emploie à formuler des propositions concrètes (dont certaines avaient déjà été présentées par le passé). Au final, les deux députées expliquent avoir organisé « quelques pistes » autour de huit axes d’action censés permettre « d’enclencher la conversion numérique de notre pays ».
« Former les acteurs de demain »
- Éveiller les élèves du primaire au codage, sur le modèle de l’éveil au dessin, à la musique et aux langues étrangères.
- Rendre obligatoire l’enseignement de l’informatique dès le collège, puis au lycée
- Créer un CAPES et une Agrégation d’informatique.
- Former des cohortes de data scientists.
- Valoriser les licences professionnelles et revaloriser le doctorat.
- Inciter les universités à réserver 10 % des bourses attribuées dans le cadre des contrats doctoraux à des sujets de recherche relatifs au numérique.
- Élargir le champ des activités reconnues par la formation professionnelle aux supports numériques : MOOC, e-learning etc.
« Mettre l’action publique à l’heure du 2.0 »
- Fournir un effort particulier à destination de la numérisation des administrations territoriales, décentralisées ou déconcentrées. Il est ici question de dématérialisation des pièces justificatives, des bulletins de paie des fonctionnaires, plus des mesures symboliques (création d’un dossier scolaire et universitaire électronique pour chaque élève de lycée et étudiant notamment).
- Pour ce faire, les deux députées recommandent l’élaboration d’une « feuille de route purement technologique (équipement informatique) », complémentaire à la feuille de route gouvernementale dédiée au numérique.
- Consacrer le principe d’ouverture par défaut des données publiques dans le cadre de la politique d’Open data des administrations d’État et territoriales.
« Moderniser le cadre juridique »
- Contre l’optimisation fiscale, il est proposé de faire de la France « le pays moteur de la refonte du cadre fiscal international (via l’OCDE) en promouvant les pistes de réflexions déjà envisagées dans le cadre national », en l’occurrence au travers de l'avis du Conseil national du numérique ou du rapport Collin et Colin (fiscalisation des données personnelles).
- Suite aux révélations d’Edward Snowden, Erhel et de la Raudière recommandent d’encourager l’adoption d’une législation européenne des données garantissant premièrement « le droit à la portabilité, c’est-à-dire la possibilité de gérer soi-même ses données personnelles, de les porter d’un système à un autre, de les partager entre plusieurs systèmes et de les récupérer », deuxièmement, « un équilibre entre la protection de la vie privée et le développement de l’innovation », et enfin « un droit à l’expérimentation pour le numérique ».
- Élaborer un guide de sensibilisation aux enjeux du stockage des données à destination des particuliers.
- Mettre en place un « principe d’innovation », pendant du principe de précaution pour le numérique.
- Inscrire dans la loi le principe de neutralité (ainsi que l’ensemble des autres propositions du rapport présenté à ce sujet en 2011 par Corinne Erhel et Laure de La Raudière)
« Créer un environnement propice à l’économie numérique »
- Évaluer les incubateurs et accélérateurs bénéficiant de crédits publics.
- Ajouter dans les critères d’évaluation des pôles de compétitivité un critère relatif à l’identification des pépites du numérique.
- Inciter à ce que les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 comprennent un membre ayant fondé une start-up innovante. À noter qu’un amendement au projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire a été déposé en ce sens par Laure de la Raudière il y a quelques jours. Il devrait être étudié par les députés d’ici mardi prochain.
« Assurer le financement de l’économie numérique »
- Encourager la création d’un Nasdaq européen, afin de permettre aux start-ups de lever plus facilement des fonds.
- Poursuivre l’effort au niveau européen pour créer des fonds paneuropéens.
- Encourager l’État à investir dans des fonds d’investissement privés, afin d’accélérer l’innovation et de dynamiser l’industrie du capital-risque - et à condition que l’État siège au conseil d’administration des fonds concernés.
- Renforcer la place de « l’innovation de rupture » dans les critères d’évaluation et d’attribution des marchés publics.
- Confier à la Cour des comptes une mission d’évaluation des nombreux dispositifs de soutien public au numérique mis en œuvre par l’État et les collectivités territoriales.
- Poursuivre les actions de sécurisation des dispositifs d’incitation fiscale en faveur de l’innovation et de la recherche et développement et assurer la stabilisation fiscale.
« Consolider les filières d’avenir et créer les champions de demain »
- Réserver une part de la commande publique « numérique » au développement de nouvelles applications dans le domaine de l’internet des objets.
- Élaborer un « guide de sensibilisation aux enjeux du stockage des données » à destination des acteurs économiques (en particulier les PME et les TPE) ainsi que des collectivités territoriales.
- Faire de la cybersécurité un enjeu majeur du développement économique des entreprises.
- Poursuivre le développement d’entreprises françaises et européennes spécialisées dans le cloud et le fog computing.
- Rédiger les cahiers des charges de telle sorte que 30 % du montant des projets Cloud Computing confiés par le secteur public aux grands acteurs de l’informatique soient sous-traités à des TPE et des PME.
« Renforcer l’action internationale »
- Mettre en place un « visa développeurs »
- Relancer le processus européen de construction d’une Europe numérique, en clarifiant les objectifs et les chantiers ouverts.
« Diffuser une culture numérique »
- Pour les députées, il est aujourd’hui « primordial de mieux et plus diffuser la culture du numérique et le "changement de monde" qu’elle entraîne ». Corinne Erhel et Laure de La Raudière ont toutefois eu du mal à émettre des propositions concrètes à ce sujet, même si elles expliquent que « plusieurs canaux essentiels à la diffusion d’une culture numérique doivent être mobilisés : l’école, bien sûr, le discours politique, évidemment, et les médias, trop frileux à certaines exceptions près ».