Relaxe d’un magasin d’informatique poursuivi pour avoir réinstallé Windows

La carte-mère à boire

En mars dernier, la justice française a donné gain de cause à un responsable de magasins d’informatique de Picardie, qui était accusé d’avoir contrefait Windows XP. Pourquoi ? Parce que sa société avait réinstallé le système d’exploitation de Microsoft sur des ordinateurs de clients qui possédaient pourtant déjà une licence valide du célèbre logiciel. Retour sur cette décision, qui est d’ailleurs maintenant frappée d’appel.

windows xp

 

Mickaël Jupin, gérant de la société ABC Informatique, comparaissait le 5 février dernier devant le tribunal correctionnel d’Amiens. Ce responsable de cinq magasins de vente et de réparation d’ordinateurs comme il en existe des milliers en France était accusé de contrefaçon du célèbre système d’exploitation de Microsoft, Windows XP. Un délit passible de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende. « Nous étions poursuivis pour avoir procédé à un changement de carte mère (suite à une panne), et à cette occasion, nous avions réutilisé la licence que le client possédait déjà » résume aujourd’hui l’intéressé.

 

Le 18 juin 2012, Microsoft porte effectivement plainte auprès de la Division « délinquance économique et financière et numérique » de la section de recherche de Picardie, après être entré en relation avec un salarié licencié un peu plus tôt par Monsieur Jupin. L'ex-employé affirme alors que l’entreprise dans laquelle il travaillait utilise illégalement des clés de Windows XP. Suite à une enquête préliminaire, le Parquet engage des poursuites, estimant que la société d’informatique a bel et bien violé les conditions d’utilisation de la licence de Windows XP, dans la mesure où elle a réinstallé le célèbre système d’exploitation sur des ordinateurs de clients qui avaient été reformatés suite à un changement de carte mère. Au total, le litige porte sur une vingtaine de réparations de ce type.

Retour du débat sur les licences OEM

De fait, cette affaire relance une question lancinante relative aux licences dites OEM (Original equipment manufacturer), que l’on applique aux machines sur lesquelles le système d’exploitation est pré-installé : que se passe-t-il lorsque l’on change un des principaux composants d’un ordinateur ? Est-ce qu’il faut considérer qu’il y a un nouveau PC, ce qui signifie qu’il faut racheter une nouvelle licence, ou bien la machine reste-t-elle la même ? 

Microsoft réclamait plus de 11 000 euros d’indemnités

Devant le tribunal correctionnel, la firme de Redmond fait valoir que le changement de carte mère équivaut à « la création d’un nouvel ordinateur », ce qui nécessite pour son propriétaire d’acquérir une nouvelle licence et donc de repasser à la caisse. Outre le volet pénal engagé par le ministère public, Microsoft se porte partie civile et réclame plus de 11 000 euros d’indemnités à Mickaël Jupin (7 946 euros de dommages et intérêts pour le préjudice matériel, 1 190 pour l’atteinte aux prérogatives extrapatrimoniales de l’auteur de l’œuvre, 500 euros au titre du préjudice moral, plus 2 000 euros de frais de justice).

 

En face, le responsable de l'EURL ABC Informatique a une autre analyse. Il considère que les conditions d’utilisation de Windows XP tolèrent ce genre de pratique, le site officiel de l’éditeur précisant noir sur blanc que « si la carte mère est remplacée en raison d'une défaillance, vous n'avez pas besoin d'acquérir une nouvelle licence de système d'exploitation pour l'ordinateur dans la mesure où la carte mère de substitution est de la même marque/du même modèle ou qu'il s'agit d'une carte de rechange/équivalente du même fabricant » (voir ici).

 

L’intéressé concède néanmoins qu’il existe un certain flou, Microsoft indiquant dans le même temps que « si la carte mère est mise à niveau ou remplacée en raison d'une défaillance, un nouvel ordinateur est alors créé. Le logiciel du système d'exploitation OEM Microsoft ne peut être transféré au nouvel ordinateur et une nouvelle licence logicielle est donc requise. »

 

tribunal justice xavier

Le tribunal conclut qu'il n'y a pas contrefaçon

Finalement, le tribunal correctionnel d’Amiens a donné gain de cause au responsable d’ABC Informatique. Dans une décision rendue le 12 mars dernier, la juridiction a conclu que le Parquet et Microsoft n’avaient pas réussi à démontrer « qu’il y a eu, sans autorisation de la société Microsoft, reproduction par tous moyens en tout ou partie un logiciel d’exploitation Windows XP en violation des conditions d’utilisation de la licence OEM dont l’utilisation est liée par certificat d’authenticité à un seul appareil ».

 

Pourquoi ? Les magistrats ont tout d’abord constaté que « la preuve que les remplacements de cartes mère n’étaient pas fait à l’identique n’est pas rapportée ». Autrement dit, rien ne prouvait que les cartes mères changées n’étaient pas du même modèle que celles précédemment installées. De ce fait, le tribunal retient qu’il « n’est pas imposé au propriétaire de l’ordinateur de se porter acquéreur d’un nouveau logiciel d’exploitation Windows XP ». Les juges se sont appuyés ici sur les indications de Microsoft, selon lesquelles il n’y a pas besoin de racheter Windows si la carte mère de remplacement « est de la même marque/du même modèle » que celle en panne « ou qu'il s'agit d'une carte de rechange/équivalente du même fabricant » - comme le soulignait Mickaël Jupin. Autrement dit, on peut imaginer que la solution aurait pu être différente s’il avait été démontré que la pièce changée était plus puissante ou d'une autre marque par exemple.

 

D’autre part, les juges ont estimé que dans plusieurs cas, l’absence d’indications suffisamment précises sur les factures (« carte mère HS - licence OK - pour réinstall. » par exemple) laissaient place à de sérieux doutes, auxquels ni le ministère public ni Microsoft n’arrivait à mettre fin : quel système d’exploitation avait réellement été installé ? le propriétaire de l’ordinateur ne disposait-il pas d’une licence boîte « FPP », qui permet la modification de l’ordinateur sans nécessité de rachat de licence ?

Une relaxe pour Mickaël Jupin et ABC Informatique, néanmoins frappée d’appel

Relaxé, Monsieur Jupin n’aura finalement connu qu’un bref répit. Le 17 mars, la firme de Redmond a effectivement fait appel des dispositions civiles de ce jugement, et fut suivie le lendemain par le Parquet, qui visait quant à lui ses dispositions pénales. L’affaire devrait donc être à nouveau étudiée par la justice d’ici plusieurs mois.

 

En attendant, le gérant exprime sa lassitude face à l’« acharnement » du géant américain, qui a multiplié les poursuites à son égard. « En cinq ans, Microsoft a lancé cinq procédures à notre égard, et les a toutes perdues » affirme-t-il aujourd’hui, précisant que certaines sont mêmes allées jusqu’en Cassation.

 

Outre les coûts humains et financiers de telles épreuves (ABC Informatique a dû fermer deux boutiques et perdu 20 salariés sur 40 selon France Bleu), Mickaël Jupin retient aujourd’hui que « cette affaire pose le débat de l’OEM ». Il espère aussi « qu’elle permettra de clarifier les choses pour les consommateurs ». Avec des interrogations légitimes au cas où la cour d’appel ne confirmerait pas les juges de première instance : « Un client nous a indiqué qu’il envisageait de porter plainte pénalement pour vente forcée, estimant que dans la mesure où il avait déjà payé sa licence lors de l’achat de son PC, il n’avait pas à la repayer parce qu’il changeait de carte mère. Que doit-on faire ? »

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