Depuis l'officialisation de son arrivée en France (sans aucun détail supplémentaire), Netflix continue d'alimenter les nouvelles, les réactions et les rumeurs. Ces derniers jours, les patrons de Bouygues et de France Télévisions n'ont pas caché leur crainte de voir le service américain arriver dans l'Hexagone. Notre confrère L'Express a pour sa part indiqué que Netflix est depuis l'an dernier le premier client du Français Gaumont, loin devant TF1 et Canal+, preuve que le service américain n'est pas un problème pour tout le monde.
Si pour les internautes français, l'arrivée de Netflix sera assurément une bonne nouvelle, que ce soit vis-à-vis de ses offres ou de l'élan qu'il créera en forçant la concurrence à s'adapter, d'autres gagnants peuvent aussi être trouvés. On peut par exemple penser aux opérateurs télécoms, qui pourraient signer des accords avec l'Américain afin d'offrir une qualité de réseau minimale, ceci en échange de monnaie sonnante et trébuchante. Des rumeurs depuis plusieurs mois indiquent d'ailleurs qu'un partenariat avec Orange est actuellement en discussion, à l'instar de ce qui a déjà été signé outre-Atlantique (non sans polémique) avec les opérateurs géants que sont Comcast et Verizon.
Les séries américaines de Gaumont vendues pour des dizaines de millions d'euros
Mais parmi ceux qui devraient profiter de l'apparition de Netflix, nous trouvons aussi certaines maisons de production françaises. Que ce soit pour leurs œuvres locales ou encore celles destinées à l'international, qui se multiplient ces derniers temps, le service spécialisé dans la vidéo à la demande par abonnement est un client rêvé. En effet, négocier avec Netflix, c'est trouver un accord avec une société qui se rapproche des 50 millions d'abonnés, qui dispose de plus en plus d'argent et qui couvre un grand nombre de pays majeurs.
Résultat, le Français Gaumont, qui dispose d'une branche outre-Atlantique, a réalisé près de 20 % de son chiffre d'affaires 2013 grâce au paiement de Netflix. La raison en est simple : Gaumont lui a vendu en exclusivité la série Hemlock Grove. L'Américain explique d'ailleurs sur son site qu'il s'agit d'une série originale de Netflix, alors que derrière se cache en réalité Gaumont.
Dans son dernier bilan financier pour le premier trimestre 2014, le Français annonce d'ailleurs qu'aux États-Unis, « Gaumont International Television a livré les huit premiers épisodes de la deuxième saison de Hannibal à NBC ; le reste des épisodes, tout comme l'intégralité de la deuxième saison de Hemlock Grove seront livrés au cours du deuxième trimestre. Les premières saisons de ces séries avaient été livrées dans leur intégralité au cours du premier trimestre 2013. » Un premier trimestre qui avait d'ailleurs été très rémunérateur pour Gaumont, avec 39,8 millions d'euros de chiffre d'affaires uniquement grâce à ses fictions américaines. Une somme ramenée à 8,2 millions d'euros un an plus tard. Mais les trimestres à venir devraient être bien plus intéressants, avec donc la saison deux d'Hemlock Grove ainsi que le lancement de diverses séries françaises.
« Si Netflix a les mêmes contraintes que TF1, pas de problème ! »
Mais si, pour le moment, Netflix profite à Gaumont et s'il pourrait profiter à d'autres producteurs (EuropaCorp, etc.), le service fait aussi trembler bien des sociétés en France. C'est le cas de Canal+, mais aussi du groupe Bouygues, qui détient TF1 et son service de vidéo à la demande MyTF1 VoD (ex-TF1Vision). La semaine dernière, lors d'une réunion organisée avec les actionnaires du groupe, Martin Bouygues a tout simplement expliqué que « si Netflix a les mêmes contraintes que TF1, pas de problème ! ». Une remarque relayée par Challenges et faite en rapport avec les obligations des chaînes dans la production française, sans compter les niveaux de taxes et d'impôts. Mais dès lors que le service fonctionnera à partir du Luxembourg, qu'en sera-t-il dans les faits ?
Un actionnaire a surtout agacé le milliardaire avec une question plus globale sur la stratégie de Bouygues vis-à-vis de la concurrence : « Vous aviez sous-estimé l’arrivée de la TNT et de Free, avez-vous un plan en béton contre Netflix ? » Sans répondre directement à cette interrogation un brin mordante, le patron a surtout insisté sur le manque d'études des conséquences de tous ces bouleversements : « Ce qui m’a sidéré, c’est que la décision politique d’accorder une quatrième licence s’est faite benoîtement et quand j’ai demandé où était l’étude d’impact, on m’a rétorqué qu’il n’y en avait pas. Même chose pour la TNT. Il faut que les régulateurs assument les conséquences et prennent leurs responsabilités. » De là à penser que Netflix aura des conséquences similaires à Free et la TNT...
« Je suis un pirate et je m'assois sur vos règles »
Le PDG de la maison-mère de la première chaîne française n'est toutefois pas le seul à avoir abordé le sujet. Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, a ainsi indiqué à nos confrères québécois de La Presse que l'arrivée de Netflix était un problème. « Oui, c'est menaçant » a-t-il ainsi déclaré. Non pas que l'offre en elle-même soit un souci, mais à l'instar de Martin Bouygues, ce sont bien les conditions qui priment ici. « Un acteur ne peut pas débarquer en pirate. Il ne peut pas venir ici et dire : "Je suis un pirate et je m'assois sur vos règles." Pour être accepté, il doit respecter les lois du pays. La concurrence sauvage ne profite pas. »
Le fait que Netflix puisse proposer un service avec une TVA affaiblie, sans mettre le moindre euro dans la production locale et sans payer les mêmes impôts et taxes est donc un problème majeur pour Pflimlin. Et nous ne parlons même pas du fait que la chronologie des médias pourrait être bouleversée. « Quand on est dans le numérique, on n'a pas besoin d'autorisation, contrairement aux diffuseurs comme nous » rajoute le patron de France TV. « Le numérique est ouvert. Il faudrait créer des obligations pour les Netflix de ce monde. » Des obligations qui seront bien complexes à mettre en place.