Le fondateur de VKontakte quitte la Russie dans des conditions ubuesques

Un poisson nommé Pavel

Après avoir annoncé son départ de la direction de VKontakte (le 1er avril) pour s'amuser, Pavel Durov a été réellement congédié de son poste de PDG cette semaine. Une nouvelle majeure qui a particulièrement touché le fondateur du réseau social, au point de le pousser à quitter le pays.

Pavel Durov

Pavel Durov

Sans liberté de diffusion d'information, « l'existence de VKontakte n'a pas de sens »

Si dans de nombreux pays dans le monde, Google domine la recherche en ligne et Facebook le marché des réseaux sociaux, en Russie, les acteurs locaux sont particulièrement puissants. Le moteur de recherche Yandex est le site numéro un du pays, suivi par VKontakte, le réseau social russe. Créé en 2006, VK, comme on l'appelle, a connu un succès retentissant dans le pays le plus grand du globe, avec plus de 60 millions d'utilisateurs quotidiens et 240 millions de membres inscrits, faisant ainsi de Pavel Durov, son créateur, un homme puissant et influent à travers la Russie et bien des pays limitrophes. Mais ces derniers mois ont été particulièrement mouvementés pour le réseau social, que ce soit en interne ou en rapport avec la vie politique du pays et de l'Ukraine.

 

Le 1er février dernier, Durov indiquait par exemple sur sa page VK que désormais, « l'Internet russe commence une nouvelle ère ». Une loi, selon laquelle toutes les données en ligne peuvent être bloquées sans ordonnance du tribunal, entrait ainsi en vigueur. « Par exemple, les appels à participer aux réunions. » Une loi problématique pour le réseau social qui compte de nombreux groupes d'opposants politiques. C'est notamment le cas d'Alexeï Navalny, opposant et activiste bien connu, condamné de nombreuses fois pour détournement de fonds ou encore pour diffamation, avec comme peine de lourdes amendes ainsi que cinq ans de prison avec sursis. Or VK a toujours refusé de censurer les pages liées à cet activiste.

 

Le 13 mars, un procureur a notamment menacé de fermer le réseau social s'il ne mettait pas fin au groupe de l'opposant. « Mais je n'ai pas fermé ce groupe en décembre 2011 (NDLR : période de fortes manifestations en Russie), et, bien sûr, je ne vais pas le fermer maintenant » indiquait Durov la semaine dernière, alors qu'il était encore en poste. « Maintenant, le moment est venu de le dire : ni moi, ni mon équipe n'allons nous engager dans la censure politique. Nous n'allons pas éliminer toute la communauté anti-corruption de Navalny, ni des centaines d'autres communautés. La liberté de diffusion de l'information est le droit inaliénable de la société post-industrielle. C'est vrai, sans cela, l'existence de VKontakte n'a pas de sens. » Ce fut d'ailleurs son pénultième message sur sa page VK.

Entre un mauvais poisson d'avril et l'affaire Telegram

Son tout dernier et ultime billet date du 21 avril dernier et annonce la couleur : « j'ai été congédié aujourd'hui en tant que PDG de VKontakte. Fait intéressant, les actionnaires n'ont pas eu le courage de le faire eux-mêmes, j'ai appris mon licenciement par la presse. » Une situation rocambolesque, d'autant plus que d'après Durov, c'est en fait son poisson d'avril, où il annonçait clairement son départ pour des questions de réduction de liberté, qui aurait été pris au premier degré. Son annulation, datant du 3 avril, précisait pourtant  que sa « démission à ce moment difficile aurait été une trahison de tout ce que nous avons défendu ces sept dernières années ». Elle a toutefois été jugée non conforme aux règles selon les actionnaires. Une fausse raison qui s'explique en réalité par la perte de pouvoir du Russe sur sa propre société.

 

En effet, suite à diverses ventes de parts, VK est aujourd'hui détenu à 48 % par le fond d'investissement United Capital Partners (UCP) et à 52 % par Mail.ru, l'un des sites les plus visités et utilisés du pays et dirigé par le milliardaire Alicher Ousmanov (Usmanov). Or on sait qu'UCP souhaite depuis un moment la tête de Pavel Durov. Ce dernier est ainsi accusé par le fonds d'investissement d'avoir abusé des ressources du réseau social afin de créer Telegram, sorte d'équivalent de WhatsApp lancé en août dernier. Or Telegram n'est pas une filiale de VK. La société est d'ailleurs basée à Berlin. De plus, sa FAQ précise que le logiciel n'a aucun lien avec la Russie hormis ses fondateurs. UPC estime pour sa part que l'application devrait appartenir à VK et donc être sa propriété. Un conflit économique donc, qui pourrait expliquer ce couac et ce départ soudain.

Une question politique ?

Mais pour certains médias, il s'agit plus d'un licenciement politique qu'autre chose. Outre le cas Alexeï Navalny, il a aussi été demandé aux dirigeants de VKontakte de remettre les données personnelles des créateurs du groupe Evromaydana (Euromaïdan), qui centraliste l'opposition pro-occidentale en Ukraine. Le 13 décembre dernier, un mois après le refus par l'ancien gouvernement ukrainien de signer un accord avec l'Union européenne et avant que tout ne bascule, le FSB (l'ex-KGB) a ainsi demandé à VK de lui remettre diverses données personnelles d'opposants. « Notre réponse a été et reste un refus catégorique, la juridiction russe ne s'applique pas aux utilisateurs ukrainiens de VKontakte » a notamment écrit Pavel Durov sur sa page VK le même jour que la publication de son billet sur Alexeï Navalny.

 

« Transmettre des données personnelles sur des Ukrainiens aux autorités russes aurait été non seulement contraire à la loi, mais cela aurait aussi été une trahison pour ces millions de personnes en Ukraine qui nous ont fait confiance. » Et si d'un point de vue économique, UCP n'a pas caché son souhait de s'attaquer à Durov, sur le plan politique, la position d'Alicher Ousmanov est plus ambigüe. Le milliardaire, qui détient des parts dans de multiples sociétés high-tech américaines et chinoises, et même dans le club de football Arsenal, a dans le passé montré une certaine loyauté envers Vladimir Poutine, notamment en s'impliquant dans la ligne éditoriale de Kommersant, un quotidien local. De là à y voir une main du président russe, il y a un pas que certains franchissent allégrement.

 

Durov n'est pas entré dans les détails sur ce sujet épineux, néanmoins, il a indiqué à TechCrunch craindre qu'il n'y ait pas de retour possible. « Pas après avoir refusé publiquement de coopérer avec les autorités. Ils ne peuvent pas me supporter. » Rajoutons que sur sa page VKontakte, Durov a écrit que désormais, son réseau social était à 100 % dans les mains d'Alicher Ousmanov et d'Igor Sechin. Ce dernier, qui a travaillé dans le passé pour le cabinet de Vladimir Poutine, n'a officiellement aucun lien avec VK. Néanmoins, le fondateur du réseau semble lier UCP avec Rosneft, un immense producteur de pétrole, dès lors que le fonds d'investissement est dirigé par Ilia Cherbovitch, qui était auparavant un ancien membre de l’administration de Rosneft et dont les liens avec les renseignements russes et Poutine sont aussi fréquemment cités.

Durov fuit la Russie après avoir vanté ses nombreux atouts

Suite à son licenciement ou sa démission acceptée selon le sens de lecture, Durov a expliqué à nos confrères qu'il avait quitté la Russie. « Je suis sorti de la Russie et n'ai pas l'intention d'y revenir. Malheureusement, le pays est incompatible avec les entreprises de l'Internet pour l'instant. » S'il compte développer à partir de l'étranger un réseau social dédié aux téléphones mobiles (en lien avec Telegram ?), la dernière phrase a de quoi surprendre.

 

Pavel Durov

 

En effet, le 10 mars dernier, Durov s'était plaint des nombreux articles poussant les Russes à partir à l'étranger pour développer leur entreprise. Afin de répondre à cette tendance, le fondateur de VK avait alors publié une infographie montrant les sept grands atouts de la Russie afin d'y faire prospérer une société :

  1. De faibles taxes
  2. Des employés talentueux et bien formés
  3. Un pays riche grâce à ses ressources naturelles
  4. De très belles femmes (NDLR : cet argument fait bien parti de sa liste, voir l'image ci-dessus)
  5. Une créativité importante liée aux contournements des restrictions locales
  6. Un grand potentiel de développement, notamment pour la création de nouveaux projets
  7. Un patrimoine culturel unique sur lequel les Russes peuvent s'appuyer

Cette déclaration d'amour pour la Russie et sa capacité à créer et innover est certainement juste sur plusieurs points. Toutefois, le voir quitter le pays quelques semaines à peine après cette publication a de quoi faire sourire. Cela s'oppose surtout avec ses derniers propos sur l'incompatibilité de son pays avec les start-ups internet. Le fait que la Russie accueille Edward Snowden est aussi un point majeur dès lors que VKontakte pourrait être utilisé pour réaliser une surveillance de masse.

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