Si les conséquences de la vente de SFR pour l'ensemble des opérateurs ont été longuement commentées, le cas de Vivendi a suscité moins d'intérêt. Pourtant, entre les milliards d'euros récoltés par les cessions d'Activision-Blizzard et de Maroc Télécom et le pactole de la vente d'Altice, le futur de Vivendi rimera forcément avec « rachats ».
En quelques mois, Vivendi a cédé la moitié des six grandes entreprises
Reculer énormément pour sauter très loin
Ces derniers mois, le géant Vivendi, qui détient Universal Music (numéro un mondial dans son secteur) ou encore Canal+, a réussi la performance de cumuler presque 24 milliards d'euros de cash. Une performance réalisée grâce aux cessions de la majeure partie de ses parts dans plusieurs entreprises : Activision Blizzard au mois d'octobre (6 milliards d'euros), Maroc Télécom en novembre (4,2 milliards d'euros) et SFR (13,5 milliards d'euros). S'il détient (ou détiendra) encore des parts minoritaires chez l'éditeur de jeux vidéo (12 %) ainsi que dans SFR (20 %), pour le groupe français, ces secteurs sont bel et bien abandonnés, même s'il faut rappeler qu'il possède encore la société brésilienne GVT, un opérateur alternatif dans le pays d'Amérique latine. Ajoutons que toutes ces cessions n'ont pas été finalisées, mais nous ferons comme s'il n'y avait aucun problème à l'horizon et que ces 24 milliards étaient entre ses mains.
Que peut bien faire un groupe comme Vivendi d'une telle somme ? Nous savons déjà que les actionnaires seront visés, ceci via le versement d'importants dividendes ou des rachats massifs d'actions. Nous devrions en savoir plus dans deux mois, date de la prochaine assemblée générale. Nous savons aussi qu'une part importante servira à réduire la dette du groupe. Enfin, il restera plusieurs milliards pour l'investissement. Le groupe a déjà mis la main à la poche l'an passé en rachetant les parts dont disposait Lagardère dans Canal+, ceci pour près d'un milliard d'euros. Mais il ne s'agissait alors que de consolider ce qu'il détenait déjà en majorité.
Aujourd'hui, Vivendi, ce n'est plus que de la musique (Universal Music), de la télévision et du cinéma (Canal+ et StudioCanal) et un peu de télécom (GVT). Pour un géant qui a dans le passé contrôlé l'eau et fait dans l'énergie, l'immobilier, les déchêts, la publicité, les jeux vidéo, et on en oublie, il est difficile de concevoir qu'il se contente de la situation actuelle. Après l'ère Jean-Marie Messier et les milliards de pertes qui s'en sont suivi, on se doute que la société sera plus minutieuse dans ses futurs investissements afin d'éviter une répétition. Mais il faut désormais rappeler qu'elle dispose désormais d'un pactole considérable et qu'elle a fortement réduit sa dette financière.
Vincent Bolloré, le futur stratège
Fort d'une trésorerie importante, Vivendi dispose d'une énorme marge de manœuvre pour réaliser des acquisitions. Mais de quels rachats parle-t-on ? Dans le passé, le groupe nous a habitué à faire des acquisitions chocs, parfois de numéros un mondiaux dans leur secteur. Alors, à quoi devenons-nous nous attendre ? Pour le moment, les dirigeants de Vivendi restent discrets. Tout au plus Jean-René Fourtou, l'actuel président du conseil de surveillance, a-t-il concédé que sa stratégie est « de positionner le groupe sur des activités en croissance », ce qui est plutôt flou il faut bien l'avouer.
Il faut dire que d'ici peu, Fourtou devra s'effacer au profit de Vincent Bolloré. Premier actionnaire de Vivendi suite à des rachats d'actions et à la vente de ses chaînes Direct 8 et Direct Star au groupe, Bolloré dirigera donc à la fois cette société et la sienne, qui est pour sa part spécialisée dans les transports, l'énergie, les médias, la publicité (via ses parts dans Havas) et les sondages (CSA). Il faudra donc attendre que Vincent Bolloré prenne concrètement la tête de Vivendi pour connaitre sa stratégie, même si quelques indices pourraient être dévoilés dès le mois prochain lors de la publication des résultats du premier trimestre 2014.
Les récentes cessions nous prouvent déjà que le groupe ne compte plus s'engager dans les télécoms et plutôt se concentrer dans les médias, secteur bien maitrisé par le futur PDG. Et par médias, nous parlons ici au sens large, et non uniquement la presse. Cela comporte donc aussi la musique, mais avec Universal Music (et EMI) ainsi que des participations dans Spotify, Beats et Vevo, nous ne voyons guère de potentiel important dans ce secteur, à moins justement d'augmenter ses participations (et racheter Spotify par exemple ?).
Un futur méga géant des médias ?
Au regard des ambitions du groupe, croquer un géant de la télévision à l'international ne serait par contre pas si surprenant. Dès lors que Canal+ est attaquée de toutes parts en France, que ce soit par BeIn et bientôt par Netflix, la chaîne cherche des relais de croissance à l'étranger, ce qu'elle fait d'ailleurs en Afrique via Canal+ Horizons. Ces derniers mois, les idées les plus folles envahissent le web quant à savoir où iront les milliards d'euros de Vivendi. Certains parlent ainsi d'un investissement aux États-Unis, tandis que d'autres estiment que racheter un grand site internet est une priorité. Cette dernière option pourrait concorder avec son envie d'investir dans les médias et dans des activités en croissance. Mais quelles pourraient être ces cibles ? Une plateforme de type Dailymotion ? Un rachat important qui n'aurait rien d'insensé, c'est certain, mais la plateforme de vidéo n'est pas YouTube ne génèrera pas des milliards. Qui plus est, Vivendi devrait disposer d'au moins 5 à 6 milliards de cash (après épongement de sa dette et quelques dividendes versés), ceci sans compter sa capacité à contracter des prêts. Il faut donc chercher auprès d'autres cibles que Dailymotion, dont la valeur n'est que de quelques centaines de millions d'euros.
Aujourd'hui, Vivendi peut difficilement mettre la main sur des géants comme Netflix, HBO ou même un réseau social comme Twitter, leur valeur en bourse étant trop élevée. D'autres cibles plus petites et pourtant de grande envergure existent toutefois outre-Atlantique. Nous pourrions par exemple citer AMC, derrière des séries comme Breaking Bad, The Walking Dead et Mad Men, et qui vaut moins de 5 milliards de dollars en bourse. N'oublions pas non plus Lions Gate Film, qui a l'avantage de produire des séries et des films très connus, ou pourquoi pas The Weinstein Company. Croquer une voire plusieurs de ces sociétés aurait pour avantage immense de lui permettre de poser un pied en Amérique du Nord, tout en disposant d'œuvres mondialement distribuées. Qui plus est, cela lui offrira des armes plus complètes pour concurrencer Netflix et tous les autres grands groupes de médias étrangers. Vivendi pourrait ainsi vouloir se rapprocher des géants Disney et Fox par exemple. Et cela passera inévitablement par des acquisitions.
Si Vivendi a bien de grandes ambitions, il ne serait pas étonnant que des acquisitions multiples soient réalisées, que ce soit dans internet, la télévision et le cinéma. Un autre scénario n'est pas non plus à écarter : une fusion entre Vivendi et certaines sociétés détenues partiellement ou intégralement par le groupe Bolloré. Cela pourrait être le cas d'Havas, de Direct Matin, ou encore de la Société Française de Production (SFP). Nous devrions en avoir le cœur net d'ici l'an prochain.