Le 3 avril dernier, un homme de 35 ans a écopé d’un an de prison avec sursis pour avoir mis en ligne, sur des blogs, de nombreuses photos intimes de son ex-compagne suite à une rupture difficile. Le tribunal correctionnel de Metz a par la même occasion alloué 5 000 euros de dommages et intérêts à la victime, et ce alors que le prévenu déclarait vivre du RSA (pour en savoir plus, voir notre article ). Afin de revenir sur cette décision et sur la législation applicable en France aux litiges de « revenge porn », nous avons pu nous entretenir avec Maître Medhi Adjemi, l’avocat du condamné.
Quelle analyse faites-vous du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Metz ?
C'est un jugement qui est entre guillemets exemplaire sur les dispositions civiles [les 5 000 euros de dommages et intérêts, ndlr]. Il ne l’est pas forcément en revanche sur les dispositions pénales [la peine d’un an de prison avec sursis, ndlr]. Il faut dire que mon client a fait très fort dans le cadre de cette affaire puisqu'il a diffusé un nombre important de photos très compromettantes, dans des situations qui dévalorisent grandement la victime... Et en plus en incitant les internautes à consommer des actes sexuels avec cette personne, gratuitement et en diffusant son adresse.
C'est là qu'on voit l'insuffisance, les carences de la loi à l'égard d'actes comme ceux qui ont été commis par mon client. Ce n'est pas un simple « revenge porn », c’est-à-dire le fait de transmettre des photos. Il est allé au-delà de cette transmission d'images. C'est pourquoi je pense que le législateur devrait rapidement légiférer sur ce type d'infraction.
Pourquoi dites-vous qu’il ne s’agissait pas d’un « simple » revenge porn ?
Le principe habituel du revenge porn, c’est de diffuser des photos compromettantes d'une personne ou des sextapes. Là, mon client a diffusé des photos de cette personne dans des situations très compromettantes, mais également en communiquant son nom, son prénom, son adresse et en incitant l'internaute à consommer des actes sexuels avec la victime. On est si je puis dire dans les confins d'une infraction quasiment sexuelle, et non pas dans une simple vengeance par image diffusée.
En quoi le droit français est-il inadapté, puisque votre client a été condamné ?
Il est inadapté au cas de mon client (et je pense aussi pour les avocats de victimes de revenge porn) parce que la personne qui est victime doit s'opposer à la transmission des images. Sinon, elle est présumée avoir consenti à cette transmission de photographies. Dans cette affaire, la victime avait mandaté des entreprises pour supprimer ces photos, elle avait déposé plainte, donc elle n'était absolument pas consentante.
Par ailleurs, la question se pose de savoir si la personne se trouve dans un lieu privé ou non. L'article 226-1 du Code pénal indique bien que si les photos sont prises dans un lieu privé et diffusées ou transmises sans le consentement de la personne, l'infraction est constituée et devient passible d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Des avocats de victimes souhaitent que cet article soit intégralement refondé en supprimant cette notion de « lieu privé ». Et pour cause, des photographies qui seraient prises dans un lieu éventuellement public (un centre commercial, un parc,...) pourraient aujourd'hui mener à une relaxe...
Comment une victime peut-elle exprimer son opposition à la publication de photos intimes autrement qu’en mandatant une entreprise afin de faire du ménage sur le Web ?
Le simple fait d'enjoindre à la personne qui a diffusé ces photos de les supprimer d'Internet peut suffire, mais encore faut-il déterminer qui les a transmises... La personne dont on croit qu'elle a transmis les photos n'est pas forcément celle-ci. Même s'il y a souvent de fortes suspicions, ça peut être quelqu'un d'autre [suite à un acte de piratage par exemple, ndlr].
Un simple dépôt de plainte peut également suffire à indiquer que la victime n'est pas consentante. Mais si elle a connaissance du fait que ces photos sont diffusées sur Internet et qu’elle ne dépose pas plainte, la victime est présumée avoir consenti à la diffusion de ces photographies.
Cette condamnation est-elle une première en France ?
Non, j'ai cru en voir deux ou trois, mais il y en a peut-être d’autres dont on n’a pas eu connaissance. Apparemment, la plupart des personnes ont jusqu’ici été condamnées à du sursis. Mais je ne serais pas étonné qu'il y ait prochainement des condamnations fermes afin d'enrayer ces usages abusifs et illégaux d'Internet pour porter atteinte à la vie privée d'une personne.
Certains États fédérés américains ont commencé à légiférer en matière de revenge porn, la France doit-elle suivre cette voix ?
L’article 226-1 du Code pénal, qui date de 2000, est un article fourre-tout. Il est entré en vigueur au 1er janvier 2002, à une époque où le revenge porn n'était absolument pas développé. Cet article permet de sanctionner, mais il n'y a pas d'aggravation de la peine, par exemple lorsqu'il y a une incitation à consommer des actes sexuels avec une personne ou lorsque les coordonnées sont divulguées. On est dans un cadre relativement général.
Dans un avenir très proche, on aura à mon avis un cadre légal plus développé, avec des circonstances aggravantes de l'infraction de transmettre l'image d'une personne sans son consentement. Je pense également que certains vont combattre cette notion de cadre privé afin que les condamnations interviennent lorsque les photos sont prises dans un cadre public.
Même s’il existe aujourd’hui d'autres fondements pour condamner ce type d'agissements lorsqu'on est dans un cadre public, comme les violences psychologiques par exemple, j'ai envie de dire que c'est un usage parfois détourné de certains articles de loi, alors que de telles infractions mériteraient une qualification pénale stricte.
Merci Maître Adjemi.