Depuis le mois de juin de l’année dernière, les multiples révélations provoquées par les documents d’Edward Snowden ont braqué une lumière crue sur les activités de surveillance et d’espionnage de la NSA. Deux prix Pulitzer, qui récompensent aux États-Unis le travail journalistique, viennent d’ailleurs d’être décernés au Guardian et au Washington Post pour leur couverture des évènements.
Bientôt un an de révélations continues
Le 6 juin 2013, le journal anglais The Guardian publie un article détaillant le fonctionnement d’un programme dont le public entendra le nom de multiples fois par la suite : Prism. Il est ainsi décrit de manière assez précise comment la NSA se fournit en données personnelles auprès des grandes entreprises du cloud que sont Microsoft, Google, Facebook, Yahoo, Apple ou encore LinkedIn. Des révélations chocs qui avaient plongé ces firmes dans une débauche de communication.
Les conséquences de ces articles ont été multiples et n’ont eu de cesse de croitre en intensité, alimentées par d’autres documents dérobés à la NSA par le lanceur d’alertes Edward Snowden. Ainsi, l’autre grand scandale concernait la collecte massive et aveugle des métadonnées téléphoniques, avec l’aide des opérateurs américains que sont notamment AT&T et Verizon. C’est d’ailleurs sur ce point que l’administration Obama a récemment annoncé des mesures pour en finir notamment avec la collecte opérée par la NSA. L’agence de sécurité devra à la place obtenir le mandat d’un juge pour demander ces données aux opérateurs de téléphonie.
Des journaux soumis parfois à une intense pression
Le Guardian et le Washington Post ont tous deux largement couvert les révélations successives d’Edward Snowden. Un travail réalisé en particulier par respectivement Glenn Greenwald et Barton Gellman, le premier étant par ailleurs l’auteur de la première interview du lanceur d’alertes. Il a depuis créé son propre site journaliste avec l’aide d’autres collègues, The Intercept, pour continuer le travail commencé sans subir les pressions gouvernementales. On rappellera par exemple à ce sujet que des agents du GCHQ (équivalent anglais de la NSA) étaient intervenus dans les locaux du Guardian pour détruire des disques durs abritant des données issues des documents de Snowden. Par la suite, le journal s’était associé au New York Times pour pouvoir continuer à travailler de manière indépendante.
Aux États-Unis, le prix Pulitzer récompense les journaux, voire parfois des journalistes, pour le travail d’information réalisé. Cette année, deux prix ont été justement décernés au Washington Post et à l’édition américaine du Guardian pour avoir informé le public des activités de la NSA et pour avoir continué en dépit des difficultés. Sid Gissler, administrateur du prix Pulitzer à l’université de Columbia, a cependant indiqué que les récompenses concernaient bien les journaux et pas Edward Snowden lui-même : si les informations sont importantes, le prix Pulitzer souligne avant tout leur traitement.
Le prix Pulitzer récompense le service rendu au public
Dans le communiqué officiel, l’organisation chargée du prix Pulitzer met particulièrement en avant la manière dont les deux journaux ont aidé le public à prendre conscience des problématiques de respect de la vie privée et la manière « dont les révélations ont pris place dans la structure plus large de la sécurité nationale ». En outre, elle les félicite pour la conséquence principale de ces travaux : la mise en place d’un débat national entre le public et le gouvernement.
Pour Edward Snowden lui-même, ces prix Pulitzer sont amplement justifiés : « La décision d’aujourd’hui est une justification pour tous ceux qui pensent que le public a un rôle dans le gouvernement. Nous la devons aux efforts des journalistes courageux et leurs collègues qui ont continué le travail face à une extraordinaire intimidation, y compris la destruction forcée de matériels journalistiques ou l'utilisation inappropriée des lois antiterroristes et tant d’autres moyens de pression pour les arrêter dans ce que le monde reconnaît maintenant comme un travail d’importance publique vitale… Mes efforts auraient été dénué de sens sans le dévouement, la passion et la compétence de ces journaux, et ils ont toute ma gratitude et mon respect pour le service extraordinaire rendu à notre société ».
Des vecteurs de tensions politiques
Le Washington Post rappelle cependant de son côté que même si le travail des journalistes se retrouve désormais récompensé de manière officielle, tout le monde n’est pas de cet avis. Le député républicain Peter T. King a fait ainsi part de son sentiment à cet égard au cours d’une interview : « Être récompensé pour la diffusion d’informations classifiées qui mettent en péril la sécurité nationale et encenser un traître comme Edward Snowden est incompréhensible… Les informations qu’il a dévoilées sont extrêmement dommageables. Elles permettant à nos ennemis de savoir ce dont nous sommes capables de faire et ce que nous avons fait ». Il estime par ailleurs que les deux journaux ne devraient non seulement pas recevoir de tels prix, mais être à la place poursuivis pour violation de l’Espionage Act.
Car il est évident que les révélations des documents d’Edward Snowden ont provoqué globalement deux grands types de conséquences. En plus d’informer le public sur ce que les agences de sécurité étaient capables de faire, elles ont été vectrices de fortes tensions sur le plan international. On se rappelle ainsi des écoutes directes sur le téléphone personnel de la chancelière allemande Angela Merkel et de plus de 120 autres chefs d'États. Souvenons-nous encore de l'avion du président bolivien Evo Morales forcé d’atterrir en Autriche car la France et le Portugal avaient refusé de lui ouvrir leur espace aérien. Il y avait en effet une forte présomption sur la présence d’Edward Snowden à son bord car l’avions revenait de Moscou où le lanceur d’alertes réside toujours, grâce à un asile politique temporaire.
Un « puissant signal »
Ce qui n’empêche nullement les journaux récompensés de se réjouir. Alan Rusbridger, rédacteur en chef de The Guardian, estime ainsi que l’obtention du prix Pulitzer envoie un « puissant signal » sur le service rendu au public américain par Snowden. Même son de cloche pour Martin Baron, rédacteur en chef du Washington Post, pour qui, sans le lanceur d’alertes, « nous n'aurions jamais su à quel point ce pays s'est éloigné des droits de l'individu en faveur du pouvoir de l'État ». Un constat validé selon lui par le simple fait que le président Obama a lui-même reconnu qu’il s’agissait d’une « conversation qu’il fallait avoir ».
Pour autant, même si le travail d’Edward Snowden est salué, il est officiellement considéré comme un traître. Et comme pour rappeler que sa situation n’est pas prête de changer, le soldat Bradley Manning, qui a réalisé l’une des plus grandes fuites de données classifiées de l’histoire des États-Unis (700 000 documents), s’est vu refuser la clémence. La peine de 35 ans décidée en août 2013 par le tribunal militaire qui le jugeait a été confirmée hier par le général Jeffrey Buchanan.